Bonjour,
Voici le texte du mois pour la proposition 260 qui a fini exæquo avec celui de Clémence et de Paul Eric.
Vous pouvez retrouver la présentation de l’auteur dans la rubrique auteur.
Bernadette – La grosse ne fait pas le régime
La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide.
C'est vrai qu'elle n'avait rien d’un top model. Sa maladie se voyait de haut en bas. Son visage était trop rond. Sa poitrine trop généreuse dépassait de son décolleté. Engoncée dans sa robe, ses bourrelets la faisaient ressembler à Bibendum, la mascotte Michelin. Il s'était toujours refusé à être en contact avec ces personnes très rondes. Il les trouvait outrancières. Trop de tout. Le fait qu'on les encense le gênait. Comment pouvait on encenser ces tas de graisses ? Ses corps dont l'excès est criant ? Comment pouvait-on vivre avec cela ? Vivre en les voyant se gaver de chips, cookies et autre malbouffe. Lui, s’il en avait le pouvoir les enfermerait dans un camp d'entraînement jusqu'à ce que leurs corps soient conformes. Dehors, les tas de graisses. Vive les femmes aux corps parfaits et aux jambes fuselées. Jamais il ne tomberait amoureux d'une fille obèse (ça y est, il a trouvé ce mot dont la prononciation le dégoûte), il aurait trop honte. Oui, la première fois qu'Aurélien vit Bérénice il la trouva laide.
Ce fameux soir, c'était soirée célibataire. La première partie était un speed dating. Lui, le tombeur avait vu cette soirée comme une soirée « abattage » où il pourrait remplir son répertoire de possibles futures conquêtes. Il avait affûté sa technique d'approche et de drague. Il s'était lavé, mis en tenue de chasse à la femme comme il disait. Sur la route, il réfléchit à ce qu'il dirait, se repassait son approche en boucle. C'est sûr, il allait réussir à draguer, et du bon poisson. En espérant qu'il n'y ait pas de baleine. Il s'installa, mis son numéro de badge sur sa chemise, et attendit. Les autres hommes présents étaient eux aussi en préparation pour cette soirée un peu éprouvante.
Puis, soudain une horde de femmes maquillées comme des voitures volées et sentant le parfum, pénétrèrent dans l'établissement. Le préposé à l'accueil leur expliquait le principe et la grappe s'éparpillèrent aux quatre coins avec les différents participants. Aurélien rencontra une blonde trop maquillée, aux ongles manucurés et vernis, superficielle et plus intéressée comme lui à draguer et remplir son carnet. Next, se dit-il. Puis, ce fut la jolie fille qui avait été inscrite par ses amies pour la caser et qui osait à peine parler, et s'excusait même d'exister. Next, merci mais non merci, dit Aurélien, un brin blasé. Il avait l'impression qu'il perdait son temps et son sex appeal avec du menu fretin. Il allait partir quand Bérénice est arrivée. D'emblée, elle fit tomber son sac, qui se rependit sur le sol. Il ne put s'empêcher d'analyser ce contenu. Mis à part ses papiers, il vit un carnet de notes, un livre de poche entamé. Mais pas de trousse de maquillage. Elle n'était d'ailleurs pas maquillée. Juste bien peignée, ses cheveux au naturel ondoyant sur ses épaules. Sa maladresse l'attendrit. Une Pierre Richard dans ce genre de lieu, comment s'était-elle trouvée là ? Perte d'un pari ? Envie de trouver quelqu'un ? C'est mignon, se dit- il en souriant. Et en rouvrant les yeux il capta son regard. Et là, il sentit quelque chose de nouveau : il l'intrigua. Aurélien voulut en savoir plus sur elle. D'un coup, les autres filles paraissaient ternes. Quand enfin elle arriva, d'instinct, il se leva, l'aida à s'asseoir. Ce qu'elle fit en s'excusant de la gêne occasionnée car l'espace entre les tables étaient trop étroit et elle manqua de renverser les verres de l'autre table. Puis, elle posa ses affaires et resta là, sans trop parler pendant une ou deux minutes.
D'habitude, les filles déballaient leur speech et lui le sien, il posait des questions. Pas là. Elle le regarda longtemps puis dit :
- Toi, tu fais partie des lovers tombeurs, je parie
- Que Quoi. ?
- Je suis nouvelle à cet exercice mais je commence à connaître les hommes comme toi. Tu veux une obèse à ton tableau de chasse afin de dire que tu l'as fait. Ce sera une expérience et tu te feras chambrer par tes potes. Je ne cherche pas cela. J'ai trop souffert. Je tiens à préciser que oui, je suis grosse, obèse tel Obélix. Non je ne me nourris pas que de chips et de sodas. J'essaie de rester active et je me bats tous les jours contre ma gourmandise. Si je suis maladroite, imagine-toi entouré d'une grosse bouée partout où tu te déplaces. Si je suis essoufflée, imagine-toi avec ton corps là mais lesté d'une machine à laver que tu ne peux enlever, puis imagine toi aussi faire des efforts avec. Donc, je te laisse parler maintenant et si tu veux mieux me connaître je me présenterai plus classiquement mais sinon je partirai et tu rateras peut-être la femme de ta vie qui gagne à être connue, appréciée et plus si affinités.
- Je n'ai encore rien dit et pour tout te dire, tu m'intrigues
- Je t'intrigue ? Etonnant et en quoi ?
- Déjà tu n'es pas comme les autres. Tu es naturelle. J'aime bien tes cheveux. Tu n'essayes pas d'être autre chose
- Merci c'est gentil, dit-elle en rougissant. Comme je l'ai dit, je n'ai jamais fait cela avant et donc après réflexion, j'ai décidé d'y aller naturelle. Car après tout, je déteste mentir.
- Parle moi de toi. Dis moi ce que tu fais, ce que tu recherches...
- J'ai 36 ans, j'aimerai trouver un homme qui m'aime pour moi, ma personnalité, mon sourire. J'aimerai un homme qui prenne le temps de bien me connaître et saura apprécier tout de moi. Je ne cherche pas un coup d'un soir, ni une performance sexuelle.
- O Ok, dit Aurélien un peu décontenancé car il ne s'attendait pas à cela, tu veux un verre ? Un Perrier ?
- Non, je prendrai un Virigin Mojito et on partage une planche apéritive. Mais ne me laisse pas tout manger.
Le fait qu'elle avait l'air déterminé, qu'elle avait désamorcé ses préjugés l'avait désarçonné et l'avait encore plus intrigué. D'où lui venait cette détermination ? Quelle était son histoire ? Il commanda, fit signe à l'organisateur qu'il voulait partager plus avec Bérénice et se rassit.
Il lui posa des questions et elle lui partagea ses déboires. Elle lui raconta les rencontres foireuses, les hommes la prenant pour un trou sans sentiment la laissant humiliée. Aurélien lui partagea ses speed dating sans lendemain, sa solitude malgré tout. Après un temps, le silence se réinstalla et elle finit son verre et lui dit sérieusement :
- Je te remercie de ce rendez-vous, je vois dans tes yeux, ta sincérité et je pense que tu trouveras quelqu'un. Mais que penses-tu des gens ronds comme moi ?
- Je...
- Je l'ai vu dans tes yeux. Tu es de ceux qui pensent qu'on ne mérite pas de se montrer, qu'on mérite notre sort....
- Je, oui, admit-il dans un souffle
- Alors, que décides tu ? Dois-je te laisser mon numéro ? Veux-tu tenter l'aventure ? Es-tu prêt à assumer d'être avec moi ?
- …
- D'accord, je te laisse réfléchir. L'organisateur a mes coordonnées donc je pense que si besoin tu peux l'avoir, mon numéro pour ta collection. Petite remarque : les ronds ne sont pas tous au régime. Je te conseille de te renseigner. Tu verras tout ce qu'on fait subir aux obèses pour faire que tu aimerais faire, c'est à dire nous coller à la norme. Une fois renseigné, amuse-toi à faire un régime pendant un mois et imagine cela sur des années. Imagine une vie entière à faire attention à ce qui rentre dans ton corps et reconsidère les choses. SI tu décides après de poursuivre avec moi alors je réfléchirai à un autre rendez-vous. Allez bonsoir !
Elle se leva en essayant de se faufiler, mais son postérieur causa de nouveau un chambardement de la table à côté. Une fois sortie, elle serra son sac à main contre elle, se redressa et expira les épaules droites, en essayant de se draper dans sa dignité, et se dirigea vers la sortie. Sa démarche chaloupée faisait rouler ses fesses. Aurélien sentit une drôle de sensation. Il était encore intrigué. Elle partait, son vêtement sur le bras et ses clés en main. Tout d'un coup, la soirée parût terne fausse à Aurélien. Il allait la suivre mais il devait voir d'autres filles, qui lui parurent insipides face à la sincérité et au naturel de Bérénice. La soirée se finit pour lui dans le fond d'un verre de scotch. Il demanda à l'organisateur les coordonnées de Bérénice, mais celui-ci lui fit savoir qu'elle avait dû omettre de donner son portable. Il avait perdu le seul contact féminin intéressant qu'il ait eu depuis des années. Il avait toujours la sensation d'intrigue envers elle. Le fait qu'il n'avait pas pu trop parler lui faisait dire que ce serait différent cette fois.
Il y repensait dans le trajet du retour. Elle lui avait donné des pistes pour aider à comprendre ce qu'elle vivait. Il ne s'attendait pas à cela. Elle ne s'était pas victimisé. Elle avait retourné ses arguments contre lui.
Alors, le lendemain, il prit une décision folle et qui changera sa vie, et lui fit découvrir un monde sombre et insoupçonné.
En somme, ce speed dating a changé sa vie et sa vision des choses pour toujours.