Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

En ce samedi d’été, le soleil et moi sommes levés aux aurores. Cette journée risque d’être la plus stressante de ma vie. Je suis obligé de quitter ma tanière. Des années que j’y habite. Calme, tranquille, près de champs généreux et variés. L’autoroute doit passer là et les bulldozers ont commencé leur travail destructeur. Mon cousin, le rat des villes, m’a invité à partager son logis, dans la cité voisine : Grenoble. Cette ville n’est pas loin de chez moi, mais je n’y suis jamais allé. Je mets mes habits des grands jours : chaussures noires cirées, tunique marron foncé, chapeau à larges bords gris. Je n’oublie pas mon bâton et mon panier rempli de fruits et légumes frais qui feront grand plaisir à mon cousin. Je ferme ma maison, laissant bien des souvenirs.

 Je me regarde quitter cet endroit idyllique. La peine m’envahit. Une petite voix tente de me rassurer

-     Ecoute, la vie impose parfois des choix que l’on ne souhaiterait pas avoir à faire, tu n’es plus un enfant, alors marche vers ton nouveau destin.

-   Est-ce que je vais pouvoir m’habituer à la vie citadine ? La ville est grande et je ne suis qu’un petit rat des champs.

-          Mais oui, tu t’habitueras, espèce de trouillard.

-          Je vais me perdre dans les dédales de rues.

-          Arrête de ronchonner, tu as le plan de ton cousin dans ta poche.

-          Pourvu qu’il n’y ait pas trop de matous, il va falloir être sur le qui-vive en permanence.

-          Tu t’y feras ; ton cousin habite cette ville depuis plusieurs années sans difficulté.

 Il est tôt, la route est calme, pas de mauvaises rencontres félines. D’un pas hésitant, j’arrive à l’entrée de Grenoble. Comme je le craignais, la circulation se densifie.

-          Comment supporter ce vacarme avec mes oreilles si aiguisées, habituées aux doux bruits de la campagne ?

-          Tu es de mauvaise foi ; quand les paysans vont aux champs, tu es réveillé aux aurores par leurs engins.

 Je dois franchir l’Isère par le vieux pont de la Citadelle. Pas rassurant, ce fleuve est encore marqué des soubresauts alpins. Y tomber est la mort assurée. Le trottoir est mince et aucun repli pour se cacher. Il ne s’agit pas d’avoir le vertige. Personne, c’est le moment, cours, tu seras vite de l’autre côté.

 Devant moi se dresse la cité moyenâgeuse de la ville avec ses ruelles étroites et sombres ; de vrais coupe-gorges. Mon cœur bat la chamade. J’en ai froid dans le dos. Quelques poubelles débordent le long des maisons. Des souris sont à table sans s’occuper de moi. Je file bon train, la peur au ventre.

 -          Alors, petit rat, tu es arrivé sain et sauf à la place Grenette.

-          Bizarre ces bêtes qui crachent de l’eau.

-        Ce sont des dauphins gros béta. Ton cousin trouve cet endroit magnifique. Le bruit des jets d’eau est rafraîchissant. T’approche pas, ce ne sont pas les dauphins qui vont te manger mais les chats et chiens qui traînent un peu partout. Passe ton chemin. Trop dangereux.

 Qu’est-ce tout ce monde ? Les magasins sont envahis de clients qui se croisent aux entrées et sorties dans un ballet inorganisé. Que j’aimais la tranquillité de la petite épicerie de mon village avec ses poubelles sorties chaque soir au calme.

 Je fuis ce tumulte et longe des immeubles de type haussmannien. Je connais, car ma cousine de Paris m’en a fait visiter. Cela me rassure. Ils sont beaux, majestueux, bien proportionnés, et, pour nous, ils ont des soupiraux donnant accès aux caves, souvent bien achalandées.

 Deux amoureux ne font qu’un sur un banc de la place Victor Hugo ; immense carré, avec l’ombre de ses arbres et la fraîcheur de sa fontaine. Une oasis après le charivari des magasins. Brassens les aurait bien chantés.

- T’inquiète, me susurre la petite voix, toi aussi, tu trouveras l’âme et plus aisément qu’à la campagne.

 Devant moi, la majestueuse avenue Alsace Lorraine. Rectiligne, bordée de marronniers. Vitrines attirantes. Badauds traînassant au gré de leur humeur. Une clochette tinte.

- Pousse toi, le tram arrive au milieu de la chaussée, il ne s’arrêtera pas pour toi, et fais attention aux trottinettes et vélos qui vont rouler sur ta queue.

 Arrivé place de la gare, je me mets à l’ombre d’une immense et bizarre sculpture. Je lis sur un petit écriteau à ras du sol : Stabile de Calder. A ma droite, un grand cube de verre fumé, la gare édifiée pour les jeux olympiques de 1968. Elle a un joli charme rétro, je trouve. Tu verras, me dis-je, tu te feras à cette ville d’histoire et de culture. Je me rassure petit à petit sur ma nouvelle vie encore effrayé par tous les bruits urbains.

 -  As-tu remarqué ? Toutes les rues sont plates. Plus facile à parcourir pour nos petites pattes que dans les sillons des champs. C’est parce que la vallée est d’origine glaciaire. Ton cousin t’expliquera. C’est le royaume des vélos comme en Hollande ; c’est bien pour la planète. Petit rat, lève ton museau, d’un côté le massif de Belledonne, de l’autre celui de la Chartreuse. N'est-ce pas plus beau que ton ancienne morne plaine ? Cesse tes inquiétudes, il fait bon vivre ici, même pour un petit rat.

 Le plan de mon cousin me fait passer le long des voies ferrées jusqu’au marché de l’Estacade. C’est là que je le retrouve. Nous nous étreignons chaleureusement. Puis il m’invite à faire nos courses au marché. Que nenni, lui dis-je, j’ai mieux que tes produits. Regarde, dans mon sac, je t’ai apporté pleins de fruits et légumes et même du fromage de mon voisin. Allez, emmène-moi à ta maison, nous allons festoyer, cousin.

 A  « notre » maison me dit-il en souriant.

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :