On aurait pu croire qu’à nouvelle ville, nouveau décor. Il n’en est rien. Les murs restent des murs. Les lignes à haute tension ne sont autre que le prolongement d’un même réseau électrique. Les barres d’immeubles ressemblent à celles que j’ai quittées, 500 kilomètres plus loin. Même la grisaille, en ce mois d’avril, s’installe où que j’aille. Depuis la vitre du train, je n’ai pas les odeurs mais je pense que mon constat serait le même.
Je ne connais pas Toulouse et pourtant, cette ville me semble déjà familière.
Sur le quai, le sol est poisseux. Les gens sont pressés. L’air sent mauvais. Une gare.
On l’appelle la “ville rose” mais pour l’instant, mon nez est loin d’être d’accord.
Alex… il aurait quand même pu venir me chercher ! Au lieu de ça, me voilà engouffrée dans les couloirs du métro, sales et surchauffés. Je donnerai n’importe quoi pour un bon café et un pain au chocolat. Pardon, une chocolatine, comme on dit ici. Pour cela, il va falloir attendre encore un moment.
Le métro me dépose à la station des “Carmes”, un peu plus loin en centre-ville. Déjà, le visage de cette métropole se fait plus accueillant. Un parfum de pain chaud flotte jusqu’à mes narines. Il est encore tôt. La rue est vaste, dépeuplée en ces heures matinales. Je m’engage sur la voie piétonne bordée d’arbres. Des platanes. C’est joli les platanes mais qu’est-ce que c’est commun.
J’ai froid. Le vent, léger, s’engouffre dans mon manteau que je m’empresse de boutonner jusqu’au col. J’accélère le pas. Les façades défilent sous mes yeux endormis. Des murs, encore. Plus ocres peut-être. Oui, plus “rose” mais… des murs, comme chez moi. En plus pluvieux ! Heureusement, j’ai une capuche. Malheureusement, je n’ai plus de cigarette. J’espère croiser un bureau de tabac sur mon chemin. Mon pas ralentit. L’ondée est déjà finie. Ma recherche m’oblige à lever les yeux. Je découvre alors la beauté des lieux. Des hôtels particuliers bâtis en briquettes et pierres de taille. Des volets bleus. Ce bleu pastel qui me plaît tant. Il y en a peu chez moi. J’avoue être conquise par l’harmonie de ces teintes naturelles.
Finalement, je décide de prendre mon temps et bifurque dans une petite rue. Sur l’écriteau, je lis “Croix Baragnon”. Elle est bordée de magasins des plus chics. Des maisons à colombages tiennent encore debout. Un salon de thé remplit l’atmosphère d’effluves de fleur d’oranger. Soudain, je remarque le fameux losange rouge. Il clignote. J’ai l’impression qu’il me parle. Qu’il m’indique que mon salut est là. Je me précipite dans la petite échoppe alors que quelques gouttes se remettent à tomber. Une fois au sec, je demande un paquet et, on ne saurait être trop prudent, je prends un briquet également. J’enfourne le tout dans mon sac, bien à l’abri de la pluie, et ressors alors qu’une douce lumière nimbe la place à présent.
Je m'arrête sur cet endroit surprenant. Contrairement à ces ruelles exiguës croisées jusqu’ici, je fais face à une immense esplanade. Cette vision me provoque un sentiment que, jusqu’ici, je ne connaissais pas. Bizarre. Un léger malaise, enivrant. Je flotte dans cette réalité qui s’offre à moi. Une double réalité.
Mes yeux perçoivent le monde qui m’entoure. Ce monde concret, de roches et de vivants. Près de moi, coule d’une fontaine une eau éternelle. Je perçois du coin de l'œil, gravé sur une des marches, un symbole d’inspiration celtique. Au loin, à côté d’un grand chêne vert, une cathédrale s’élance jusqu’au ciel. Son clocher s’étend jusqu’aux nuages. Je me demande comment un tel endroit peut exister. On dirait que l’espace s’est courbé, déformé pour accueillir cet imposant monument et son parvis démesuré.
Je me laisse gagner par l’étrangeté ambiante. L’impression d’avoir acquis un nouveau sens. De percevoir l’imperceptible. Une dimension inaccessible. De basculer vers un autre monde, magique. Je scrute ce ciel de coton aux couleurs si chaudes. Serait-ce là, l’élément qui m’a ouvert ce passage ? Un frisson me parcourt le dos, remonte sur mes épaules. Quelque chose se trame mais quoi ? Je reste alerte. Je m’imprègne. Je suis là, prête. Venez !
Soudain, je sens une main sur mon épaule. Je fais volte-face. Alex est là, le sourire aux lèvres. Moi aussi je suis contente de le voir. Pourtant je sens une mélancolie sourdre quelque part. Au fond de moi. Je me retourne vers l’édifice mais plus rien. La brèche s’est déjà refermée. Les choses ont repris leurs places habituelles.
– La cathédrale Saint-Etienne ! Elle est belle, hein ?
– Oui, elle est magnifique, dis-je.
Puis, en silence, je lui dis au revoir. A elle et à cet instant, fugace. Béni.
J’attrape la main de mon ami et dans les rires, je m’élance vers ce chapitre encore inconnu. Vers mon café, mon pain au chocolat, mon avenir.