Le texte du mois // Proposition 267 – Philippe

Bonjour, Voici le texte du mois pour la proposition 267. Vous pouvez retrouver la présentation de l’auteur dans la rubrique auteur.

 Proposition 267 – Le chat

Le Chat l'avait su avant tous les autres. Les yeux plissés, alerte, il épiait la maison rénovée entourée d'un jardin en friche. L'air humide du matin frôlait les cheminées, caressait les allées. Au pied d'une barrière cassée, des feuilles mortes s'entassaient.

Cela faisait six jours que le Chat venait surveiller cette demeure laquelle avait fait l'objet de plusieurs mois de travaux. C'était une belle longère en pierre, couverte d'ardoises. Les murs avaient été joliment jointoyés, les fenêtres et portes avaient été remplacées par des baies en aluminium gris foncé du plus bel effet. La beauté de la maison contrastait avec le jardin, défoncé par endroit suite, sans doute, aux passages répétés d'engins de chantier et en friche ailleurs car laissé à l'abandon depuis fort longtemps. La maison était isolée, à la sortie du village, nichée au fond d'un vallon encore bien verdoyant malgré la période hivernale.

Ce froid matin de décembre, un énorme camion s'était arrêté devant la maison alors que le Chat déambulait sur l'accotement de l'autre côté de la rue. Il s'était arrêté net et observait le ballet incessant des déménageurs. Cela avait duré très longtemps et il avait pu remarquer les beaux meubles, les cartons, les valises, bref, tout ce qui constituait la richesse des futurs habitants. Il y avait même un immense piano à queue.

Depuis ce jour, le Chat revenait chaque matin à proximité de la maison et il observait. Il allait et venait, d'un côté puis de l'autre de la rue et se frottait parfois le dos le long d'un réverbère. La discrétion restait de mise et au moindre bruit ou événement suspect, il s'éloignait lentement. Il avait été le premier à remarquer cette maison, d'abord en travaux puis en cours d'emménagement.

Ce jour-là, il vit arriver une grosse berline genre SUV qui se gara devant la maison. Un couple très bien mis en descendit suivi de quatre enfants dont l'âge devait aller de trois à huit ans. Tout ce beau monde entra dans la maison sans doute pour s'y installer définitivement. Le Chat continua d'observer...

Plus tard dans la matinée, la camionnette d'un installateur de clôture arriva. Avec le propriétaire, l'artisan examina la barrière qui avait dû être détruite lors de la rénovation. Il prit les mesures et donna un délai de deux semaines pour établir un devis suivi de deux mois avant réalisation des travaux. Le propriétaire fit une moue dubitative. L'artisan remonta dans son véhicule et s'éloigna rapidement. Quelques instants plus tard, la famille au complet sortit de la maison. Le père dit : « Allez, dans trois mois au plus, nous y serons ». Tous s'engouffrèrent dans la berline qui disparut.

Le Chat se dirigea alors vers le village. Il longea la route se faufilant au travers de hautes herbes jaunies sur l'accotement ; par principe écologique, il n'y avait plus de fauchage sur les bords. Il passa devant l'unique café dans lequel quelques rares consommateurs étaient attablés en silence. Derrière l'église, une vieille Peugeot était stationnée à l'abri des regards. A son bord, quatre hommes attendaient. « Hey, les gars » dit l'un d'entre eux, « le Chat revient ». Effectivement, le Chat s'approcha de la voiture. Un grondement bizarre sortait de sa gorge, on aurait presque pu croire qu'il ronronnait. « Alors ? » dit l'un des hommes. « C'est pour ce soir » répondit le Chat tout en se redressant et se frottant le dos contre la carrosserie. « Ils ne vont pas occuper la maison de suite, donc, la voie est libre... ». « Bien Chef » répondirent en chœur les quatre occupants du véhicule.

Le Chat, c'était le surnom que lui avaient donné les membres du petit gang qu'il dirigeait et qui écumait la région en visitant les pavillons inoccupés. Et il avait enfin trouvé une nouvelle affaire. Il monta dans la Peugeot qui démarra et disparut dans la campagne.