P213 Chistine – Sans titre

« C’est quoi un verdelet ? » Et allons-y qu’il recommence à m’agacer avec ses questions inattendues, ces mots qui sortent de nulle part, aucune idée d’où il a pu le pêcher celui-là. J’ignore avec ostentation.

« C’est quoi ?" répète-t-il. Il semble désorienté, plein de confusion et d’embarras, blessé, mais pas tout à fait sûr de ne pas avoir été entendu. Ce n’est pourtant pas la première fois que la situation se présente mais il n’a pas l’air prêt à faire face à l’inanité répétée de ses interventions.

« C’est les clowns qui utilisent des cornemuses », marmonne-je d’un ton maussade, en espérant que cette fois le ton de ma voix lui fera comprendre que j’ai simplement dit la première absurdité qui me passait par la tête.

Il s’exaspère « mais ça correspond pas du tout au contexte ! Tu dis n’importe quoi ! » Manque de pot pour lui, je n’ai aucune envie de m’intéresser au contexte. C’est pas que j’aie particulièrement quoi que ce soit à faire là maintenant, mais ne rien faire du tout me semble toujours infiniment plus passionnant que comprendre les tenants et les aboutissants de son énième question sur le monde.

« Ça doit être un genre de liqueur... » insiste-t-il.

« Sûrement ».

Il me regarde l’air triste, ses deux yeux humides et sombres comme un étang un soir de pluie, selon la formule poétique que maman utilisait souvent.

« Ça t’amuse de me traiter comme ça ? »

Alors absolument pas. Si quoi que ce soit était amusant dans le fait de son existence et des interactions qui s’ensuivent, je n’en serai pas à me débattre dans cet océan d’agacement consommé.

« Tu m’assommes » lâchai-je enfin, regrettant aussitôt d’avoir émis une remarque qui nécessiterait forcément des explications longues et argumentées.

« Ça c’est pas très gentil, je te pose juste une question ! Si je voulais t’assommer, j’aurais sûrement saisi un de ces branchages pour te le jeter en pleine figure, tu mérites pas mieux d’ailleurs ! »

« Essaie seulement de faire ça ! »

Il se renfrogne « Ca abîmerait la toile cirée. Je veux pas faire ça. »

Je ne peux pas m’empêcher de rire de lui « Ah oui sûrement, c’est ça ! » La situation est encore en train de m’échapper, on va encore s’agacer, s’énerver, crier, en venir aux mains pour… quoi au fait ? Mais moi j’ai rien demandé. Je me sens sombrer de l’intérieur, plus irrité que jamais, ne maîtrisant plus rien, comme si une colonie d’insectes grouillants et dégoûtants se promenaient dans mon crâne et chatouillaient mon cerveau, irrémédiablement, hors de mon contrôle et de ma portée.