Le petit groupe se retrouva autour du feu dans le petit salon de l'aile ouest de la maison. Les boiseries en excès minutieusement cirées par le personnel de maison et le papier peint terne contrastaient avec les tableaux accrochés aux murs. Ces derniers étaient la preuve des goûts étranges et quelque peu morbides de notre hôte. La plus grande toile, trônant au-dessus de la cheminée, représentait un clown grotesque pendu au branchage d'un grand chêne.
Sybile contemplait l'horrible peinture essayant de comprendre quel étrange message l'artiste avait voulu transmettre à travers ce grotesque personnage quand Danielle l'arracha à ses pensées :
«- S'est bien là le pire tableau que j'ai jamais vu !
- À ce qu'on dit, Mr. Trane était un individu très extravagant et cultivant aussi sa part d'étrangeté.
- Étrangeté? - Luke entra dans la pièce tout en faisant tourner la liqueur que contenait son verre - c'est là un mot bien gentil pour un homme complètement fou ! Cette maison n'a ni queue ni tête ! Des portes qui donnent sur des murs, des escaliers irréguliers, des pièces inaccessibles... vous avez l'embarras du choix ! La légende veut que ce soit l'esprit tourmenté de sa femme qui lui a dicté les plans.
- Et que dites-vous de la rumeur selon laquelle son instrument favori était la cornemuse ?
- En quoi cela est-il étonnant ?
- Avant d'arriver je me suis arrêtée au petit café près de l'étang, la serveuse m'a raconté que le cuir de son instrument était fait de peau humaine ! Et que tout comme son corps il n'a jamais été retrouvé !»
Luke lâcha un éclat de rire qui fit écho jusqu'aux moulures du plafond.
« - On aura tout entendu ! Ne soyez pas si naïve, toutes les histoires sont bonnes pour essayer d'éloigner les visiteurs trop curieux. »
Un long silence s'installa alors que tous regardaient, pensifs, le feu crépitant dans l'âtre, assommés par l'ambiance pesante de la maison. Un courant d'air vint chatouiller la nuque de Sybille la ramenant au moment présent, elle porta à ses lèvres son verre de vin verdelet qu'elle n'avait pas réussi à finir durant le dîner, bien trop acide à son goût, elle n'avait pas eu le courage de le mentionner au risque de paraître peu sophistiquée auprès du reste des convives. Elle continuait surprise d'avoir reçu une invitation, les autres paraissaient tous si à l'aise et ne questionnaient même pas la raison de leur présence au manoir.
La lourde porte en bois s'ouvrit sur un homme grand et au teint pâle. Ses vêtements étaient soignés et vieillots à la fois. Sa longue main aux doigts noueux parcourait nerveusement sa cravate. Ses lèvres étaient habillées d'une fine moustache soigneusement entretenue. Son regard parcourut la pièce, il s'avança, ne perdant jamais la raideur de sa posture.
« - Soyez les bienvenus. J'espère que le manoir est à votre goût. Nous allons poursuivre notre soirée au second étage, je vous demande de bien vouloir me suivre. »
Sa voix était étrangement mélodieuse et froide à la fois. Il tendit sa main vers le sombre couloir dans un geste qui se voulait hospitalier. Luke sortit le premier d'un pas assuré.
Danielle s'accrocha au bras de Sybille et murmura à son oreille :
«- C'est lui ! C’est Mr. Trane !»