Laurent – Sans titre

Blanc, de la tête aux pieds, il aurait ressemblé à un fantôme, si son nez rouge ne venait pas déranger cette première impression. Le clown déambulait dans la grande rue du village. De sa démarche ondulante et souple il allait de droite et de gauche, évitant habilement les branchages qui gisaient sur le sol, arrachés aux arbres des jardins par la tempête de la nuit précédente.

Il allait ainsi, seul. Au verre de lait qu’il distribuait habituellement aux enfants dans les supermarchés, dans son rôle de camelot — il faut bien gagner un peu pour survivre — il préférait allègrement le goût verdelet du vin trop jeune.

Soudain, le son d’une cornemuse a résonné un peu plus loin. Cela lui a rappelé cet étrange personnage qui jouait, en kilt et à moitié torse nu, de la cornemuse, en plein milieu de la montagne. Un géant impressionnant qui n’était autre qu’un berger célébrant ainsi sa solitude, ses moutons et ses chiens, et qu’à sa grande surprise il avait croisé un autre jour, dans la même tenue, mais faisant ses courses au supermarché du coin — il faut bien manger, même les géants bergers.

En approchant du son qui l’attirait instinctivement, tel celui du joueur de flûte du conte, il découvrit, sur la place du village, la camionnette sonorisée d’une marque de liqueur. Son nez chatouillé par l’odeur, il comprit qu’il y avait là quelque dégustation possible, de quoi lui remonter quelque peu le moral. Sur une table recouverte d’une toile cirée jaunâtre, qui avait manifestement fait son temps à traverser, jour après jour, les places de villages et les parkings de supermarchés, des verres en plastique à moitié remplis s’offraient aux curieux. Curieux lui-même et en quelque sorte collègue de cet autre représentant, c’est sans aucune forme d’embarras qu’il a levé le coude, à plusieurs reprises, pour s’envoyer dans le fond du gosier ce remontant inespéré et gratuit.

Loin de l’assommer, ce breuvage floral et généreusement fermenté lui redonna la force nécessaire pour poursuivre son chemin sans but.