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Sortie de la ville d'Ampuis. N86, enfin maintenant on dit D386. J'ai vu sur un panneau qu'elle avait été déclassifiée. Direction le sud par les routes secondaires. Il fait soleil. Je me suis installé près d'un carrefour. La route est plus large et, pour la voiture qui voudra bien me prendre en stop, se sera plus facile de s'arrêter. Assis sur mon sac, j'attends l'heureuse élue depuis une petite heure. Y a du passage ; j'ai encore bon espoir.

Devant moi, au-delà de la route, un espace plat dans lequel le Rhône a creusé son lit. C'est là que la ville s'est construite.  Derrière moi, la colline cultivée en terrasse sur lesquelles les vignerons font pousser la vigne. 11 heure : je prendrais bien un petit verre de Côte Rôtie en apéro ! Tient, un gars d'une soixantaine d'année sur sa mobylette qui ralenti : il va pas me prendre sur son porte-bagage ? Il s'arrête devant moi.

 - Quand on n'a pas les moyens de voyager, mon gars, on reste chez soi.

 - Ah bon... ?

Ah il est reparti. Il n'avait que ça à me dire ? Pas très aimable. Il est jaloux ou quoi ? En quoi ça le dérange que je fasse du stop ? Les voyages ne sont pas réservés à ceux qui ont de l'argent... Zut ! Pendant que j'encaissais la remarque, j'ai laissé passer une voiture. Mais en voilà une autre. Le pouce, du bon côté. Il ralenti. Il s'arrête 20 mètres après moi. Il fait marche arrière. Mon sac, c'est gagné... Merde ! Il reculait juste parce qu'il avait raté la petite route sur la droite. Désillusion.

13 heure. Il y a pas mal de voitures qui sont passées mais aucune ne s'est arrêtée. Je noierai bien mon chagrin dans une bouteille de Côte Rôtie. Non, gardons espoir. J'ai encore le temps d'arriver ce soir à Marseille avant la nuit. Voilà une voiture rouge. Le pouce vers le sud. Freinage en douceur ; arrêt devant moi.

 - Bonjour. Vous allez où ?

C'est la passagère qui me questionne. Elle doit avoir à peu près le même âge que la conductrice. Je leur donnerais la cinquantaine.

 - En direction de Marseille.

 - On ne va pas jusque-là mais on peut vous avancer.

 - D'accord, merci

 - Mettez votre sac à côté de vous à l'arrière, le coffre est plein.

Et nous voilà parti.

 - Vous attendiez une voiture depuis longtemps ?

 - Depuis 10 heure, ce matin.

 - Ah oui, quand même. Le stop, c'est moins cher mais c'est plus long.

Encore un peu de banalités et quelques silences qui nous permettent de passer Condrieux, de faire quelques km puis :

 - Voilà, nous on tourne sur la droite en direction de Pélussin. On vous dépose là ?

 - Ah... Bon ? Euh... Bon, merci.

 - Bon courage pour la suite.

Oh pétard, elles m'ont pas fait faire plus de 5 km sur les 300 qu'il me reste ! Et elles me laissent en rade en pleine ligne droite, là où les voitures roulent à fond et ne s'arrêtent pas. Tu parles qu'elles m'ont avancé ! Bon et bien aller, mon cher pouce, c'est reparti, au boulot. Première voiture, non. Deuxième, non. Troisième, oui ! La chance.

 - Vous allez dans le sud ? Aller, montez.

Nous roulons depuis 1 heure. Le conducteur a une dizaine d'année de plus que moi. Il a envie de parler et nous échangeons tous les deux avec plaisir. C'est un violoncelliste qui descend dans le midi rejoindre un groupe pour la période des festivals. Moi je sais modestement jouer Brassens à la guitare. Il connait mieux Brassens que je ne connais Vivaldi mais entre le professionnel et l'amateur une sensibilité musicale se développe.

 - Une fois, j'ai pris un type qui faisait du stop avec une contrebasse : y en a qui ont peur de rien. Par contre, y en a qui ont peur. Un jour, j'ai pris une femme qui, à peine montée dans la voiture, m'a dit qu'elle avait une bombe anti-agression dans la poche et qu'il fallait pas que je l'embête.

 - Faire tout un voyage avec la trouille au ventre, ce ne doit pas être de tout repos.

 - Alors pour la détendre, je lui ai chanté La Non Demande en Mariage de Brassens. Et ça a marché. Les pires, ce sont ceux qui s'endorment ou ceux qui ont les écouteurs dans les oreilles : bonjour la communication. Et ceux qui téléphonent : un jour, un jeune a passé une heure à s'engueuler avec sa copine : j'ai tout su de leur intimité. Pas gêné, il a même baissé l'autoradio qui l'incommodait.

 - Mais qu'est-ce qui fait que vous prenez une personne ou non ?

 - Je ne m'arrête que si j'ai envie de parler avec quelqu'un pendant le voyage. La tête de la personne, j'm'en fou. Je n'fais pas non plus du social. Ce que j'aime, c'est échanger.

 - Si le passager peut parfois se sentir menacé, pour vous, cela ne vous arrive jamais ?

 - Y a parfois des excités, mais il ne faut pas l'être plus qu'eux. Prendre un autostoppeur, c'est un peu comme à chaque concert : y a une part de prise de risque mais je gère pour que le résultat soit riche.

 - Et c'est pareil pour celui qui fait du stop. Un jour, j'ai été pris par un gars qui roulait comme un malade. Ce jour là, j'ai pris conscience que mes sphincters et mon estomac étaient bien fonctionnels car je ne lui ai rien lâché sur sa banquette ; pourtant, ce n'était pas loin. J'ai du le menacé gentiment de me laisser aller sur les fauteuils de sa mercédes ; ça l'a tout de suite calmé. On frôlait l'accident à chaque tournant.

 - Ah, je vois l'affaire. Avec moi, vous ne craignez rien. Mais comme vous en parlez, je ferais bien une petite pause. Ce sera aussi l'occasion de prendre une bière. Ça vous dit ?

 - Ah oui, bonne idée.

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