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C'était une vieille maison toute grise, aux volets tout gris, dans une ville toute grise. Enfin, c'est ce qu'il lui semblait tant sa vie de petite fille était grise, sans fard, sans joie, auprès d'une mère dépressive s'apitoyant sur son sort de femme trop tôt délaissée, et d'une grand-mère qui pleurait chaque jour la disparition de son époux bien –aimé, trop tôt emporté par le cancer des trop grands fumeurs.
Pourtant la petite fille avait été heureuse dans sa toute tendre enfance. C'est bien  dans cette maison qu'elle avait connu de grands moments de bonheur : des noëls illuminés plein de tendresse et de cadeaux, des étés ensoleillés dans l'arrière-cour où elle aimait jouait avec l'antique pompe à eau, actionnant le bras trop lourd pour elle, pataugeant dans le grand bac à lessive trop grand pour elle, chantonnant les poèmes appris à l'école maternelle, rêvassant la tête en l'air en suivant les nuages qui passaient, ou se balançant mollement à l'ombre du tilleul. Dans cette maison, aussi, qu'elle avait connu ses premiers jeux avec le petit garçon du premier étage, qu'elle avait appris à faire de la trottinette sur le trottoir, qu'elle avait appris à compter la monnaie à la boulangerie du quartier, qu'elle avait appris à grandir à l'abri.
Puis tout s'était arrêté, d'un coup ! Des mois de deuil, des nuits peuplées de pleurs, de cris, de sanglots, de regrets. Il fallait se rendre à l'évidence, plus rien ne serait  comme avant. Puis encore un coup du sort : des promoteurs ambitieux pour ce quartier ouvrier et délaissé avaient le projet de tout raser pour en faire un quartier tout neuf. Alors la petite fille dut quitter la maison où elle était née, partir plus loin, dans un appartement neuf, mais sans âme, sans souvenir, sans repère. Des familles entières ne voulurent pas quitter leur maison ; elle aussi voulait retourner dans sa maison.
Mais, un jour les promoteurs firent expulser les récalcitrants, mirent des briques pour boucher toutes les issues des maisons qui devaient être abattues. C'est là que tous comprirent que jamais plus rien ne serait comme avant, la petite fille aussi le comprit et, debout sur le trottoir, face à la porte qu'elle avait si souvent ouverte  mais désormais murée,  elle pleura  son enfance malmenée, sa maison dont elle était dépossédée, son père qui l'avait oublié, son grand-père qui n'avait pas eu le temps de jouer au grand-père, ses souvenirs emmurés et bientôt effacés à jamais de la surface de la terre par de grosses pelleteuses. Non, décidemment, plus rien ne serait comme avant.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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