Peu à peu, le quartier sort de sa léthargie nocturne et s'anime. Le soleil filtre quelques rayons prometteurs d'une journée sans pluie. Quelques bambins, bottes aux pieds, s'amusent à sauter dans les flaques d'eau créées par quelques soixante-douze heures d'un déluge printanier. Au beau milieu de l'escalier de la tabagie, un chat se lèche les pattes tandis que les premiers clients entrent et sortent, en le contournant, journal sous le bras ou paquet de cigarettes à la main. Face au petit commerce, un immeuble en démolition reçoit les premiers ouvriers dont certains grillent une cigarette avant de débuter leur journée de travail. Un périmètre de sécurité a été établi pour éviter tout accident. Un liséré jaune démontre clairement avec ses inscriptions « D A N G E R » les limites permises et défendues. Une adolescente malingre assise sur le bord du trottoir, l'air songeur, laisse le soleil caresser son visage. Son chemisier jaune-citron déchiré à la manche gauche laisse voir une blessure sur son bras décharné, un contraste de jaune et de rouge qui attire le regard d'un vieillard qui s'avance vers elle à petits pas accélérés. Il s'adresse à elle en pointant du doigt la blessure. D'un air contrarié, elle marmonne quelques paroles et d'un geste de la main lui fait signe de s'éloigner. Le vieillard affiche un visage déçu et continue son chemin en se retournant de temps à autre vers la jeune fille. Au bout de la rue, il s'arrête, porte la main droite à son cœur, ses genoux fléchissent, il lève la tête et appelle à l'aide. Un jeune serveur occupé à garnir des tables à la terrasse d'un restaurant est le premier à répondre à l'appel du vieillard. Il approche une chaise et aide l'homme à s'asseoir. Semblable à un félin, la jeune fille bondit et court en direction des deux hommes. On entend ses cris en écho dans la rue quasi-déserte « Grand-père ! grand-père ! Ça va grand-père? Des palpitations encore ? Ton cœur bat trop vite grand-père ? » Elle a dénoué le foulard autour de son cou et éponge le front en sueur de son aïeul. Des larmes coulent le long de ses joues, elle s'excuse de son impolitesse d'il y a quelques minutes. Elle tente de l'apaiser en lui disant : « T'inquiète pas pour moi papi, je vais bien. Ce n'est rien qu'une petite blessure de rien du tout sur mon bras. Ménage ton cœur, je te veux encore longtemps près de moi. » Ce dernier reste silencieux. Un attroupement s'est formé autour du trio. Un homme sort son portable de la poche de sa veste et appelle les secours. Le marchand de fruits, oranges à la main, ne manque rien de l'incident. La concierge d'en face, occupée à balayer la devanture de son immeuble, arrête sa tâche, s'appuie sur son balai et observe les gens s'affairer autour du vieillard. Quelques minutes plus tard, on entend au loin la sirène de l'ambulance qui vient porter secours. Un chien jappe et tire sur sa laisse, curieux de l'événement. Son maître a du mal à le suivre et lui ordonne de ralentir. La boulangère sur le seuil de sa porte, s'essuie les mains sur son tablier enfariné et rapporte ce qu'elle voit à l'employée occupée à placer des pains sur le présentoir en vitrine. Le pharmacien, quant à lui, déverrouille lentement la porte de son commerce, observant le branle-bas qui règne et affiche un air exaspéré. Les enfants s'amusent toujours dans l'eau et ne semblent pas avoir conscience de ce qui se déroule à quelques mètres d'eux. Vélos et automobiles se font de plus en plus nombreux et circulent normalement comme tous les matins de semaine. Bref, aujourd'hui encore, le quartier prend vie.