-C'est ça Madame la Vénus de Milou ?
- d'Idéfix pendant que tu y es ! non De Miloooo…nous ne sommes pas au parc Astérix ici mais au Louvre !...
Elle soupire, pourquoi s'est-elle proposée comme accompagnatrice à cette sortie au musée. Etre une mère de quatre enfants, c'est déjà lourd mais cumuler en sus un mandat électif dans une fédération de parents d'élèves et se dévouer quand personne ne se propose à encadrer les sorties scolaires c'est être kamikaze.
Déjà dans les transports en communs…Ils avaient profité d'une certaine accalmie dans la fréquentation du métro pour jouer bruyamment aux quatre coins. Certains vieux ronchons, un peu bousculés, avaient alors donné de la voix. Heureusement, il y eut un changement. Hélas, pendant le reste du trajet, au moins six stations, ils décidèrent de jouer aux chaises musicales, lesquelles chaises étaient les strapontins et l'arrêt de la musique le signal sonore de la fermeture des portes. Elle pensait ces jeux d'un autre âge. Funeste erreur, ce matin là, elle comprit que ces collégiens étaient d'affreux cumulards : ils savaient autant manier la PS3 que s'égayer dans d'antiques occupations héritées de leurs parents, voire de leurs grands-parents.
De cette première épreuve, ils s'en étaient sortis sans incident comme par miracle.
- Madame, pourquoi elle a plus de bras ?... s'ensuivent des propos scabreux suscités par la question du jeune Abdou :
- Ben, c'est son mari qui les lui a coupées pour ne pas que…rire gras d'un grand échalas blond au visage grêlé d'acné, fier de sa saillie prononcée d'une voix très grave émaillée de notes suraiguës.
- Il s'agit d'une….
le matin même, elle était allée sur wikipédia pour préparer la visite.
- Vous fatiguez pas Madame, cette statue, on en a rien à f…Erwan jette un long coup d'œil sur la Vénus : Quoique…elle a des beaux « eins ».
- Tu rigoles, là c'est Icham qui intervient, y sont trop p'tits, Ce s'rait maintenant, le sculpteur lui aurait fait au moins des bonnets D.
- Ouai…avec des prothèses PIP…la remarque de Nolwenn provoque l'hilarité générale.
Elle a beau s'en empêcher, mais elle est choquée. Choquée par quoi ? Elle n'arrive pas à définir la gêne qui la fait balancer entre le désir de s'esclaffer avec ces ados iconoclastes et son sentiment de contempler une merveille grecque antique en marbre qui pour elle est le témoignage d'une civilisation pas tout à fait disparue puisque sa propre langue en est profondément imprégnée.
Ces ados sont dans l'immédiateté et dans la provocation d'un déplacement qu'ils ont consenti uniquement parce qu'ils échappaient à quelques heures de cours au collège.
Ne pas faire de généralité, il y a Siam qui dans son coin, complètement mutique, mange du regard les courbes de la Vénus. C'est une timide, on sent au bord de ses yeux toutes les questions qui se bousculent en elle et que jamais elle ne posera pour ne pas se faire cataloguer par la majorité de la classe. Elle emmagasine tout ce qu'elle peut de sensations et d'informations pour ensuite compléter ses lacunes via internet.
Siam, c'est elle-même avec internet en plus. Une curiosité jugée malsaine par les jeunes de son âge, alimentée à coup de lecture et de fréquentation de bibliothèque en catimini. Etre la meilleure de sa classe sans le vouloir, aimer apprendre…autant de raison d'être au ban de la majorité de ces condisciples. Ne gagner ses galons de bonne camarade que parce qu'on prend la tête d'un mouvement de contestation suite à l'injustice flagrante d'un professeur…
Et pourtant…L'émotion qu'elle ressent en face de la statue n'a rien à voir avec l'histoire, l'antiquité et ses dieux la laissent de marbre, elle vibre simplement de tant de beauté.
Comme elle vibre maintenant des chef-d'œuvres classiques qu'elle lit avec bonheur sortis de leur contexte scolaire, les extraits disséqués par ses professeurs du Lagarde et Michard qui se voulaient pédagogiques et qui ne furent que des tue-l'amour.