Oh ma toute douce grisette,
Je me souviens du samedi où je suis allée te chercher avec deux de mes petits.
Le dernier était encore à la sieste, nous allions lui faire la surprise de ton arrivée à son réveil.
Ta mère à qui on avait redonné trop tôt la pilule afin qu’elle n’ait pas une nouvelle portée vous avait, toi et tes frères, rejetés, et tu avais été nourrie au biberon. Tu gardas toute ta vie une aversion des bras et de la contrainte.
Tu courais dans les herbes hautes avec ta fratrie, nous devions choisir le chaton qui nous plairait et celui qui se laisserait approcher. Et ce fut toi !
Toute grise au long poil, on t’avait déjà prénommée Flanelle. Cela t’allait à merveille !
Les enfants te trouvaient belle, et ce fut toi que nous emportâmes.
Tu étais un peu fâchée de ce court voyage en voiture, mais bientôt arrivée dans un nouvel univers qui ressemblait au tien, tu te remis à faire la folle et entrepris de tout explorer et de nous charmer.
Tu as accompagné l’enfance de mes fils avec délices, berçant leur sommeil de ton puissant ronronnement. C’est le lit du milieu que tu préférais, mais tu migrais de l’un à l’autre afin de ne point faire de jaloux, et tu suivais vaillamment nos pas lors des promenades avec le chien.
Mon dieu que ton poil était doux, ma Flanelle !
Un matin, mon mari parti très tôt au travail m’appela au téléphone.
« j’ai une mauvaise nouvelle à t’annoncer, me dit-il.
J’ai trouvé Flanelle écrasée sur la route, je n’ai pas voulu le dire aux enfants déjà éveillés, je l’ai ramassée et mise sur le feu dans le jardin. »
Je suis allée voir : en effet, un chat gris gisait sur les branchages à brûler.
Les larmes aux yeux, je suis rentrée porteuse de la terrible nouvelle.
Je me souviendrai toujours de mon entrée dans la chambre.
J’ai repris les mots de mon époux :
Pas question de me taire, il fallait bien faire face.
Des sanglots dans la voix, je m’adressai aux enfants :
« J’ai une terrible nouvelle à vous annoncer. Soyez forts. Flanelle est morte. Elle s’est fait écraser.
Mon second fils me regarda comme si j’étais devenue folle.
-Non, ce n’est pas vrai !
-Si, papa l’a trouvée ce matin.
-Mais non, ce n’est pas vrai !
-Si.
-Va voir sur mon lit je te dis !
J’obéis à mon fils, persuadée qu’il était en plein déni ; et que vis-je ?
Toi, ma douce, tranquillement endormie sur sa couette !
Je t’ai caressée, tu as mis ton moteur en route, quel bonheur ! Tu n’étais pas morte, c’était un autre chat !
J’allai revoir le petit cadavre dans le jardin : en effet, c’était ton presque sosie, mais à y bien regarder, non, il ne te ressemblait pas tant que cela ! Pauvre chat ! Nous allions quand même lui donner des funérailles et questionner tout le voisinage, mais il fut impossible de savoir à qui il appartenait.
Quant à toi, ma Flanelle, tu restas notre merveilleuse compagne encore bien des années, accompagnant les adolescences de tes petits maîtres avec toujours le même entrain, la même fidélité à leurs couches moelleuses, accueillant leurs premières copines sans aucune jalousie.
Puis ils quittèrent le nid, et toi tu restas.
Ils étaient toujours heureux de retrouver ton puissant ronronnement lorsqu’ils revenaient, et toi tu te prêtais à leurs caresses avec délice, du moment qu’on ne te prenait pas.
C’était désormais sur mes pieds que tu ronronnais la nuit.
Après quatorze années de liberté, de parfaite santé,(tu n’a vu qu’une fois le vétérinaire pour être stérilisée), cet automne, alors que nous étions seules, toi et moi, tu as fait les frais de l’ouverture de la chasse.
Je n’ai même pas pu t’enterrer. Je t’ai appelée, cherchée partout, des jours durant, et pas retrouvée.
Les enfants ont eu bien du mal à y croire. Pourtant, il a fallu se rendre à l’évidence : tu ne reviendrais pas et ne me déposerais plus de souris sur le pas de la porte. C’est toi qui avais été la proie cette fois.
Les coups de fusil entendus juste derrière chez nous t’ont été fatals.
Toi ma douce ma jolie Flanelle, tu as été source de joie, de douceur, de rires tout ce temps parmi nous, toujours aussi belle, et j’aurais tant aimé te garder encore longtemps !
Aussi, ma toute belle, c’est ton souvenir que j’ai choisi d’honorer, ton nom qui s’est imposé dans cette liste de mot pour un dernier hommage si mérité !