Séjournant à l’étranger, je viens d'apprendre par la presse nationale que le froid s'est abattu et que la neige couvre l’ensemble du territoire, que la ville de T... - ma ville natale- est isolée du reste du pays. Cette dernière phrase a ranime mes souvenirs d’enfance...
Enfants, quand nous entendions les vieux dire :- << Tiens le ciel blanchit , l’air s'adoucit, c est la neige qui s’annonce.>> Le lendemain, le ciel était aussi blanc que la terre , la neige , nuitamment , silencieusement était arrivée : la blancheur immaculée des toits des maisons et des alentours ou tout avait été camouflé, nivelle : arbres vêtus de linceuls qu'a peine une petite ligne noire dessinait sur le fond blanc : routes et rues coupées , robinets gelés et coupures intempestives de l’ électricité. Ces désagréments n'étaient pas, inconsciemment, mon lot ni celui des enfants de mon âge. Pour nous la neige ce n' était certainement pas les flammes rougeoyantes dansantes dans l'âtre de la grande cheminée -image que nous découvrions dans nos livres de lecture- elle était pour nous la guerre de boules de neiges , le concours des bonhommes de neige ; et, paradoxalement l'école.
Pour nos parents, monolingues -ils ne parlaient pas français- l'école, c’est le savoir : ils n’ admettaient pas que nous rations <<un jour de savoir>> .. Nous, les enfants, étions pour une fois d accord, mais pour des raisons évidemment différentes, nous aimions nous rendre a l'école ; elle était située a un millier de mètres ; chemin faisant, chacun de nos pieds s'enfonçait jusqu'aux genoux , nous peinions à avancer ; pour lutter contre le froid saisissant , notre imagination galopante nous transformait en explorateurs pataugeant dans des sables mouvants à la recherche de quelques sites perdus. A l’école. les élèves arrivant les uns après, entraient en classe, le " maître" consciencieux est déjà là. Vers 8 h et demi il procédait à l’appel puis prononçait la phrase que nous attendions. - << vous n’ êtes que huit , faites, mais en silence, ce qui vous plait>> nous nous levions , sans bruit , pour aller nous regrouper autour du poêle rougeoyant , ronronnant que le concierge allumait chaque matin en hiver ; la chaleur généreuse qu'il dégageait, enveloppait toute la classe . Nous placions quelques chaises autour du poêle ; ceux dont les vêtements étaient les plus mouillés s'asseyaient en premier. Nous nous trouvions bien ; nos habits séchaient, nos membres se réchauffaient. Un moment après, le troc commençait : nous échangions"" illustres et porte-bonheur"". Les illustres, nos biens précieux, nous les marchandions ' ""un Bleck le roc " contre "'deux Buffalo Bill ", " un Bufflalo pour deux Pluto ". On se les prêtait mais à lire sur place. Quant a nos porte-bonheur, de simples petits objets hétéroclites à qui, chacun de nous , attribuait tels sou tels pouvoirs magiques;
Cette camaraderie, cette compréhension, ces échanges et sur tout ce poêle et sa chaleur - insuffisante pour ne pas dire souvent absente dans nos demeures,- c’est ce qu’évoque, pour moi, le mot neige. Vers onze heure, la cloche sonnait la sortie, le maitre nous annonçait :- << cet après midi l école sera fermée >> .La déception se lisait sur nos visages.