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"   Lorsque la raison se fissure, l'esprit ignore la souffrance du cœur.   "

 

 

- Gaétan! Ne marche pas si vite.

- C'est toi qui est lent, une vraie limace.

Raphael, âgé de dix ans, accélère le pas tout en faisant la moue.

 

Chaque jour, son père Harold, le dépose en voiture devant le portail de l'école à huit heures puis se rend au cabinet d'assurances où il travaille.

 

Le midi, l'enfant reste à la cantine scolaire et le soir il rentre chez lui en traversant le parc d'Estourel, son village natal.

 

Octobre s'installe fraîchement et l'automne magnifie la nature.

Bon nombre d'oiseaux s'envolent en fil indienne vers une chaleur lointaine.

Les premières gelées fragilisent les massifs de fleurs qui peu à peu disparaissent des pelouses.

Des arbres imposants s'envolent les friables feuilles joliment colorées, pour se poser délicatement sur les toits, l'herbe, les trottoirs de cette paisible bourgade.

Les rayons du soleil passent fébrilement entre les nuages.

 

Quelques fois, Raphael s'assied sur un banc et admire les formes cotonneuses se déplaçant lentement dans le grand ciel.

Il imagine apercevoir un gentil dragon qui change de couleur selon sa fantaisie. Ou un chat géant baillant béance de grosses bulles. Et encore, un carrosse en guimauve tiré par une large tortue aux yeux globuleux.

 

Le garçonnet sourit et lève une main qu'il agite pour signaler sa présence.

Il aimerait tant s'élancer sur la longue et sinueuse route enfumée qui s'étend devant lui, tout la haut.

 

- Gaétan! Regarde cette large main qui descend vers nous.

- Des nuages, se ne sont que des nuages.

- Non---c'est un autre monde---

Chuchote Raphael fasciné par la beauté de ce spectacle chimérique.

- Arrête de rêver! A cause de toi, on va encore être en retard pour le souper.

 

L'enfant se lève et court vers la sortie du parc. A peine à t-il franchit les hautes grilles qu'il aperçoit sa maison au bout du chemin. Toute blanche comme un gros marshmallow piqué de points de sucre brillant.

De la toiture en pain d'épice de tuiles rouges, s'échappe de la cheminée noir réglisse, la fumée en  notes de musique qui virevoltent et s'envolent jusqu'à lui.

 

Il rit de cette innocente féérie.

Puis il s'arrête brusquement devant la porte chocolat, la main sur la poignée rouge fruit confit.

Les yeux clos, il pense à sa mère allongée sur le canapé près de l'âtre flamboyant, donnant sereinement le biberon à Samuel, son petit frère de trois mois.

 

Ce bébé qui lui vole trop souvent les bras de sa douce maman. Qui lui dérobe l'émerveillement de son gentil papa.

Cette minime forme qui gesticule en criant pour réclamer. Qui gazouille en riant et qui sourit en dormant pour s'attirer " toute " l'attention des parents.

 

D'ailleurs, la première fois qu'il s'est penché sur le berceau, ses yeux se sont remplis de larmes.

Non par colère maîtresse de rancœur. Mais par tristesse allant même jusqu'au désespoir.

Ce premier regard fraternel rempli d'amour et---d'inquiétude, l'ému et en même temps le blessa profondément.

Il allait devoir le surveiller et surtout, le protéger ---de Gaétant!

 

Ce soir là, après avoir fait sa toilette et partagé le dîner en famille, Raphael s'éclipse rapidement. Il s'enferme dans sa chambre et se glisse dans son lit tirant son drap jusqu'aux oreilles.

 

Ce qui ne manque pas d'étonner ses parents, car d'habitude la porte entrouverte laisse filtrer la veilleuse du couloir. Rassurante lumière phare des nuits agitées de cauchemars.

 

Sans bruit, sa mère Aline, le rejoint et s'assied sur le bord du lit alors que Harold s'agenouille pour être à sa hauteur, tout en murmurant.

- Fiston, pas de bisou magique pour une nuit de beaux rêves ?

- Hum, gémit l'enfant feignant l'endormissement.

 

Aline lui prend une main entre les siennes.

- Mon chéri, tu as un souci et tu n'oses pas nous en parler ?

 

L'enfant écarquille le yeux.

- Fitcheur m'a suivi et j'ai bien essayé de le chasser mais il s'est couché sur la route. J'ai eu très peur qu'il se fasse écraser et comme il commençait à pleuvoir je l'ai installé dans le garage sur une vieille couverture.

Lance t-il d'une traite.

 

- Mais qui est Fitcheur ?

- C'est---un brave et vieux labrador, tout noir. Mais ne vous inquiétez pas, il est très propre.

- Raphael, ce chien appartient bien à quelqu'un qui en ce moment, doit certainement se tourmenter de son absence.

- S'il te plait maman, s'il te plait---

Supplie-il, maintenant assit sur le lit étreignant les mains de sa mère.

- Calme toi fiston. Pour ce soir, fitcheur dormira au chaud. Mais demain, il faudra prendre une sage décision.

- Merci papa!

Soulagé, le garçonnet enlace ce dernier de ses petits bras fluets.

De nouveau couché et bordé, ils l'embrassent tendrement.

- Bonne nuit mon ange, fais de doux rêves.

 

Dans la cuisine, une porte donne dans le garage.

Ce n'est qu'après avoir tendu l'oreille que Harold se décide à l'ouvrir, lentement pour ne pas effrayer l'animal.

Il appuie sur l'interrupteur du mur intérieur et la lumière éclaire la petite surface du garage. Sur ses gardes, Aline reste dans l'entrebâillement de la porte.

 

Après avoir inspecté tout les recoins et même sous la voiture, un instant, ils se regardent pensifs et sourient en refermant la porte.

- J'avoue que cette fois-ci, je l'ai cru.

- Ce n'est qu'une chimère de plus. Notre fils s'ennuie alors il invente.

- J'espère que ce problème disparaîtra lorsque son petit frère grandira.

- Bien sur Harold, notre ainé n'aura plus besoin de ce monde irréel, il aura Samuel pour l'accompagner dans ses jeux.

 

Le lendemain soir, dés la sortie de l'école, le petit garçon s'empresse de courir vers le parc. Essoufflé, il s'affaisse sur un gros tas de feuilles.

Tout alentour, d'autres tas identiques attendent d'être ramassés par le jardinier.

 

Il reste un instant immobile, les paupières closes. Puis il ouvre les yeux ébloui par l'immensité de la voute céleste.

- Regarde Fitcheur, comme c'est---merveilleux. Sens-tu ce vent léger qui plane entre les pics ? Contemple---le scintillement qui éclabousse ces gigantesques montagnes enneigées.

 

Il s'assied et respire profondément en souriant à l'illusoire nature silencieuse.

 

Soudain il roule sur le côté, se retrouve sur le ventre, se redresse à demi et apostrophe.

- Gaétan! Arrête!

- Il faut bien que je te sorte de tes chimères.

- Tu dis ça parce que tu es jaloux!

- Pas du tout, moi je préfère avoir les pieds sur terre. C'est plus flatteur et avantageux.

Sourire vicieux plus que narquois.

- Je vois ta petite maman chérie qui vient vers nous.

 

En effet, Aline se dirige dans sa direction poussant tranquillement le landau.

- Tu avais oublié ton écharpe.

Bienveillante elle lui noue autour du cou, alors qu'il se relève.

 

Elle regarde autour d'elle semblant chercher quelqu'un ou quelque chose.

- Le marchand de châtaignes sort du parc. Ton père adore cette gourmandise. Je cours le rejoindre et je reviens de suite. Veille sur ton frère!

Aline s'éloigne rapidement et disparait au tournant de l'allée.

 

- Fitcheur, cesse d'aboyer, tu vas effrayer Samuel. Regarde, on dirait qu'il te sourit. Je crois qu'il est content de te voir!

 

- Raphael, j'ai inventé un jeu.

- Gaétan à inventé un jeu!

Répète l'enfant en riant.

Toi qui se moque de mon inspiration débordante, tu es donc capable d'inventer, d'imaginer!

Il rit encore.

- Arrête de te moquer de moi! Sinon je m'en vais et tu regretteras l'envol.

- Un---envol.

Murmure l'enfant curieux, le cœur battant, les yeux remplis d'extraordinaire.

- J'ai trouvé le passage secret qui mène à l'autre monde.

Raphael est tout ouïe.

- Raconte.

- J'ai mieux que des mots, je peux te " montrer " le passage. Rejoint moi en haut de ce mont de terre.

 

L'enfant hésite à le suivre.

- Je ne peux pas laisser le landau.

- C'est toi qui choisis, mais l'exceptionnel ne se renouvellera pas de si tôt.

- Gaétan, attend moi! Je viens!

 

Le petit garçon scrute une dernière fois l'allée sans apercevoir sa mère.

Il se décide à prendre Samuel dans ses bras et pousse la barrière, sans voir l'écriteau : défense d'entrer- travaux- danger-

 

- Fitcheur lâche mon pantalon, tu vas nous faire tomber!

Raphael enjambe un gros tuyau, évite quelques trous fraichement creusés, marche sur des planches et grimpe difficilement sur le talus. Arrivé en haut il se retourne.

- Fitcheur, tu t'es décidé à me suivre. Tu y es presque! C'est bien mon chien.

 

De l'autre côté, un trou béant, sans doute les fondations d'une  construction. Au fond du trou, plusieurs gros tuyaux en métal et des tiges de fer planté dans la terre.

Plus loin, une petite rivière bordée d'arbres, les feuilles s'étalant sur l'eau calme.

 

- Gaétan, tu te moques de moi! Tu m'as fait monter jusqu'ici pour contempler les soubassements de la future patinoire!

- Pas du tout. Tu vois ce pont, là devant nous, qui surplombe les travaux et la rivière. Il nous conduit directement dans la forêt.

 

Raphael fronce les yeux, cligne des paupières .

- Tu vois l'arc-en-ciel ?!

Il hoche la tête négatif.

- Ecoute, entends-tu cette musique ? Elle annonce que la nature est en fête. Ils n'attendent que nous pour commencer les réjouissances.

 

Désespéré, il ne perçoit que les clapotements de l'eau contre les petits rochers.

- Viens!

Son ami danse, rit et lui tend la main.

- Viens!

Raphael saisit la main de Gaétan et soudain, le pont lui apparait---éblouissant.

 

L'enfant avance un pied, au dessus du vide et--- Se sent tirer en arrière, sans doute par Fitcheur qui ne veux pas lâcher le bas de son pantalon.

 

- Non! Raphael!

Sa mère a juste le temps de le saisir par la capuche de sa veste avant qu'il ne glisse.

 

La voix de Gaétan résonne dans la tête de l'enfant.

- Laisse tomber le bébé!

 

Samuel gesticule et pleure.

- Laisse le tomber et tu auras maman, pour toi seul!

 

La voix s'amplifie et cogne dans son cœur douloureusement partagé.

Les larmes inondent son visage, ses mains se desserrent. Il lève la tête vers sa mère.

 

- Prends ma main, je t'en supplie---

 

Il attrape la main de sa mère tout en enserrant précieusement son petit frère.

Aline le hisse, prend Samuel dans ses bras et serre contre son cœur son ainé.

 

- Mon enfant, que voulais-tu faire ? Où voulais-tu aller ?

- Je voulais---traverser le pont pour rejoindre Gaétan et Fitcheur.

- Il n'y a pas de pont! Il n'y a pas d'autre enfant! Et Fitcheur n'existe pas!

Aline pleure en parlant.

-Tu as faillis te briser les os dans ce trou et---tuer ton petit frère.

 

Raphael regarde autour de lui. La nuit enveloppe le parc. Les lampadaires éclairent la rivière, les fondations, le mont de terre, la barrière renversée.

 

Un vent léger souffle sur les feuilles colorées de l'automne qui s'envolent au dessus de l'eau, au delà des hauts arbres, de l'autre côté.

 

Cet autre côté étrangement beau, étourdissant, magique, monstrueusement---imaginaire.

 

 

 Aliénation mentale- délire- névrose- dédoublement de la personnalité---schizophrénie.

 

"   Lorsque la raison se fissure (Raphael), l'esprit (Gaétan) ignore la souffrance du cœur---   "

 

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