Un passage? Non ...
D'une époque à l'autre.
Il y avait d'abord ce souvenir d'enfance : les hommes humbles se débattaient et luttaient contre une nature dure , ingrate, avec des moyens dérisoires: une araire pour le labour ,une faucille pour la moisson, un van pour battre l'épie : d'où misère et paupérisation .
La population autochtone vivait au rythme du passé : " parce que l'avenir leur était une contrée étrangère". Dans les années soixante, une ère nouvelle s'annonçait, plus clémente : grâce à des reformes engagées particulièrement la mécanisation de
l'agriculture: la terre alors féconde , recevant l'effort le rendit amplement mais ... si productive qu'elle fut, elle induisit déracinement , et exode de tous les bras devenus inutiles.
La campagne se vida : par vagues successives, des familles entières envahirent alors les villes et les villages ...
Investies ,submergées par une population paupérisée, pleine d'amertume, de doute mais aussi d'espérance, accourant à la découverte d'un autre aspect, qu'ils espéraient plus favorable, de la vie... Ces villes furent donc, cernées de bidonvilles : faits
de bois et tôle - investies par la multitude : Les hommes, adossés aux murs en tôle , assis sur des pierres, au seuil de la porte, ne retrouvèrent que le désœuvrement chronique, qui fut le leur depuis toujours. Les femmes , procréatrices fécondes, toujours recluses et soumises Les jeunes adolescents découvrirent la rue et le cinéma qui leur tracèrent le rôle à jouer et surtout le modèle - souvent néfaste- à imiter. Les plus jeunes, filles et garçons envahirent l'école publique gratuite : ferment d'une anticipation annoncée, prémisse d'une hésitante, démarche vers la modernité, qui ne fut, pas toujours comprise, ni admise par certains, et parfois même combattue par les plus rétrogrades .
Lors de ce passage long et mouvementé à une autre époque, je ne fu , comme tant d'autres de ma génération qu'un témoin.
D'une société à une autre.
Conséquemment à ces changements douloureux, la société opérait lentement une mue hésitante, désordonnée et souvent déchirante. En effet, figée, retardataire, analphabète, fataliste et patriarcale -elle le fut ,pendant très longtemps, pour des raisons exogènes - elle va peu à peu, grâce à la généralisation des enseignements, à l'industrialisation naissante, au développement de la radio de la télévision - (dont les paraboles happant le ciel, dégurgitaient les idées , et des images d'ailleurs sur des
milliers de foyers ) - s'adapter et s'approprier les normes et modes de la vie urbaine et moderne. - Une modernité germant ,avançant "à la vitesse du plus lent"- : les tabous - ces verrous séculaires- craquelaient, s'étiolaient , la pratique des mariages consanguins, de la polygamie régressait .
Mais, la bête immonde, tapie à l'ombre, tissait sournoisement ses filets , s'accaparait les lieux de culte ... s'élevant brutalement au dessus des lois elle s'appropriait les rues , au nom d'une fallacieuse interprétation de la Religion. Elle prohiba alors la
culture, imposa sous peine de châtiment l'austérité, anathématisa l'enseignement des langues étrangères: contraignit les jeunes femmes , étudiantes, lycéennes et même les écolières , portant toutes rétives, récalcitrantes à porter des tenues vestimentaires d'un autre âge. Ce projet de société, que l'extrémisme fanatique, espérait instaurer se heurta à la volonté de la population où le sentiment de dignité et de liberté était vif. Des citoyens et des citoyennes - qui avaient , les premières, senti l'imminence du péril théocratique - descendirent par milliers dans les rues de toutes les villes pour crier leur rejet du projet rétrograde , pour affirmer haut et fort " OUI à la vie ", "Oui à l'honneur des femmes".. "Oui à la liberté"
Anonyme, parmi des milliers d'anonymes, j'y étais.
L'hydre fut terrassée mais non anéantie ... mais au prix de combien d 'assassinats ? de femmes enlevées et violées, de destructions... ?