"Durant les jours suivants, elle s'acquitta de ses tâches quotidiennes à la façon d'une somnambule. Le silence dans la maison où se pressaient les souvenirs, se révélait insoutenable".
Pourtant, il aurait suffi à Magalie d’ouvrir les fenêtres pour entendre à nouveau les bruits de la fourmilière humaine. Cela faisait maintenant 18 ans que Paolo, son mari, travaillait pour son entreprise au Caire ; 18 ans qu’elle s’était habituée à cette mégapole bruyante mais ô combien attachante, qui avait vu grandir ses enfants, s’épanouir sa famille. Au début, cela n’avait pas été facile. Loin de ses concepts d’européenne, Magalie avait été déboussolée : culture, société, langue, climat, promiscuité. C’était surtout la pollution qui l’avait gênée le plus : l’air dans les rues y était quelquefois irrespirable, quant aux odeurs d’égouts, s’en était insupportable.
Les années allant, elle avait fini par aimer le pays, trouver de larges compensations dans les visites touristiques qu’ils ne manquaient pas de réaliser le week-end. Les enfants, surtout, adoraient sortir du Caire, traverser les grandes étendues désertiques en 4x4, se faufiler parmi les touristes au pied des pyramides à Gizeh ou encore traverser le Nil en felouque au coucher du soleil.
Quelques années après, ils avaient déménagé du centre des affaires, pour s’installer dans une jolie maison à Héliopolis à une vingtaine de kilomètres. Ils y avaient même un petit jardin. Le répit n’avait pas été très long, l’urbanisation galopante avait fini par les rattraper, mais elle avait réussi à garder son petit havre de paix loin de la cacophonie et du chaos cairote. Les enfants avaient des amis, ils étaient maintenant au lycée Français. Magalie avait créé sa petite entreprise de relations publiques.
Jusqu’à ce mois de janvier 2011, où la révolution emporta avec elle toute sérénité. Magalie avait peur à chaque minute pour les siens : les enfants à l’école, ou sur le chemin. Paolo était souvent absent de la maison pour suivre ses chantiers. Leurs amis commençaient à parler de départ. Magalie ne voulait pas en entendre parler. Sa vie était là, elle y avait vécu ses plus belles années. Elle pensait que tout cela allait retomber, qu’une fois que les effets de la révolution serait retombés, la sécurité reviendrait et que tout serait comme avant.
Mais, la vie quotidienne ne fut plus la même : les enfants avaient des insomnies, Paolo passait beaucoup trop de temps dans ses déplacements, obligé d’avoir une protection armée et elle-même ne décrochait plus un seul marché. Les week-ends, ils ne sortaient plus à la découverte de ce fabuleux pays. Ils durent se résigner. Magalie en était là de ses réflexions. Elle venait de boucler leurs valises et emballer les quelques objets auxquels elle tenait, après avoir passé les jours précédents à tourner en rond dans sa maison, à regarder ses orangers en fleurs, à caresser le muret ocre sur lequel elle s’asseyait souvent et à emmagasiner tous les souvenirs heureux qu’elle voulait ramener avec elle. Dans trois heures, au retour de Paolo et des enfants, ils prendraient un taxi pour l’aéroport.