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Durant les jours suivants, elle s’acquitta de ses tâches quotidiennes à la façon d’une somnambule. Le silence dans la maison où se pressaient les souvenirs, se révélait insoutenable. Gabrielle savait pourtant qu’il était préférable pour chacun qu’elle rassemble ses affaires dans la solitude.

Ces derniers mois avaient été particulièrement éprouvants pour elle. Certes la vie de cette famille reconstituée avait dès le départ été chaotique.

Rose, la mère d’Arthur et de Prune, avait toujours été animée par une jalousie et une amertume maladives à son égard. Elle en avait même bien souvent oublié l’intérêt de ses propres enfants. Gabrielle, elle, avait tenté de la comprendre, de lui tendre la main, de prendre sur elle. Elle avait encaissé ses insultes au téléphone, elle était allée la chercher aux urgences après son accident de voiture, faisant fi de la méfiance et de l’aigreur dont Rose faisait preuve envers Paul. Rien n’y avait fait. Alors elle s’était résolue à la fuir et se limitait à déculpabiliser Arthur et Prune quand l’occasion se présentait : ils avaient le droit d’aimer d’autres personnes que leur mère sans avoir pour autant le sentiment de la trahir.

Paul, lui, avait toujours été tenaillé par la peur que ses enfants en payent les pots cassés. Il était partagé entre l’amour qu’il leur vouait et la colère que faisait naître en lui tant les propos que l’attitude de Rose. Il était comme paralysé, trop envahi par ses émotions pour se soucier de ce que Gabrielle ressentait. Cela avait fait fréquemment l’objet de longues discussions, mais force leur était de constater qu’il subsistait toujours une zone d’incompréhension entre eux : il était parent, elle ne l’était pas.

Arthur et Prune, quant à eux, avaient toujours été écartelés entre les propos diffamatoires de leur mère au sujet de Paul et Gabrielle et l’amour qu’ils ressentaient pour chacun des protagonistes. Ça n’avait pas toujours rendu les relations simples et fluides…

C’est dans ce contexte qu’Abel était né. La joie liée à l’annonce de cette naissance avait rapidement été victime de l’ombre provoquée par la réaction de Rose : elle avait menacé Paul de déménager à l’autre bout de la France emmenant avec elle Arthur et Prune. S’en été suivis d’interminables réunions avec un médiateur familial, un passage devant le juge entérinant le mode de garde des deux enfants.

Puis petit à petit la situation s’était apaisée, laissant un peu de répit à cette famille reconstituée. Les enfants grandissaient ensemble une semaine sur deux, sommes toutes dans la joie. Les relations entre Prune et Gabrielle avaient toujours été plus ou moins tendues et continuaient à l’être. Elles engendraient parfois de violentes disputes entre Paul et Gabrielle mais ils parvenaient à chaque fois à trouver un terrain d’entente et à se réconcilier.

Pourtant en grandissant Arthur, qui jusqu’alors avait été très proche d’Abel, s’était mis à ressentir comme une injustice le fait que son demi-frère ait son papa et sa maman à plein temps, une seule maison… Il en était devenu méchant ne ratant pas une occasion pour le rabaisser, l’humilier, le laisser de côté.

Autant Paul était tétanisé face à cette nouvelle situation, partagé entre ses deux fils et sa culpabilité, autant Gabrielle montait inlassablement au créneau, démarrant au quart de tour, parfois là où il ne s’agissait en réalité que de simples rapports de fratrie.  Rapidement l’ambiance était devenue invivable : l’attitude de Gabrielle ne faisait qu’accentuer la propension d’Arthur à prendre Abel pour un puching-ball, elle reprochait à Paul de ne jamais intervenir, lui rétorquait qu’elle ne lui en laissait pas le temps, Arthur  éprouvait une haine grandissante envers Abel et Gabrielle…

Les tensions étaient de plus en plus présentes, Gabrielle ne parvenant pas à se détacher des dérives de son côté maternel. Alors, après maintes mois de discussions avec des personnes aussi diverses que variées, après longue réflexion, elle en était arrivée à cette conclusion : elle devait se séparer de Paul afin qu’Abel puisse grandir sereinement auprès de son frère, afin de laisser à Paul la possibilité de  jouer pleinement son rôle de père. Certes elle n’offrirait pas à son enfant la joie de grandir entre ses deux parents mais elle lui permettrait ainsi de vivre plus paisiblement. Elle savait du reste  pertinemment que Paul était suffisamment intelligent pour ne pas prendre Arthur en otage.

Elle avait annoncé sa décision à Paul quelques jours plus tôt, il l’avait acceptée avec tristesse, mais il l’avait acceptée.

Elle rangea ses derniers couverts dans le carton avec l’impression de déposséder une famille de ce qui en réalité lui appartenait. Dehors le ciel était d’un bleu profond, une hirondelle s’adonnait à ses prouesses de haute voltige. Elle y vit un espoir. Le lendemain elle aurait quarante ans.

 Quelques années plus tard, Gabrielle croisa une hirondelle en rentrant chez elle. Elle repensa à ce passage douloureux de sa vie où elle avait dû renoncer à ce qu’elle pensait être l’amour de sa vie par amour pour son fils. Dans quelques jours Paul, Arthur, Prune et Abel seraient réunis pour fêter avec elle les dix ans d’Abel. La vie avait suivi son cours et un sourire s’esquissa sur les lèvres de Gabrielle à l’idée qu’elle avait pris la bonne décision.

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