Elle était sans voix.
Devant elle sur le sol, ils étaient en tas, une fois encore, une fois de plus, sans forme, sans ordre, juste en tas, informes. Au milieu des chaussettes, des slips, en bouchon. Un tas énorme. Tombés du lit, dégageant l'odeur du chiffon sucé, machouillé, entortillé, jamais lavé. Il y avait le doudou à l'odeur des vacances, du soleil, de la mer; le doudou des histoires de papa, le soir allongé sur le lit; le doudou des copains, tous allongés sous la couette, et même le doudou où il retrouvait l'odeur de maman, son parfum à la vanille.
Elle lui avait pourtant dit, répété, cent fois:
-"Arthur, range ta chambre, jette ces bouts de chiffons, à ton âge, on dort sans doudou".
Il l'avait regardée, il l'avait narguée, sans écouter, sans y croire.
Dormir sans doudou, sans déconner, dans ses rêves. Une nuit sans doudou, c'était comme un été sans soleil. Des doudous sans odeur, c'était comme des pâtes sans gruyère, juste beurk!
Maman s'approchait sans hésiter. Elle allait se baisser, les ramasser sans aucun doute. Arthur bondit hors du lit, se baissa, attrapa le tas informe, le serra dans ses bras et retourna dans son lit sans les lâcher. Il prit son air fâché:
" Mais ça va pas, non? Comment tu oses rentrer dans ma chambre, sans frapper? J'ai quinze ans, je fais ce que je veux. Sors de ma chambre. Et tu touches pas à mes doudous"
Maman sursauta, comme prise en faute. Arthur le voyait dans ses yeux, elle avait envie d'être en colère et pourtant des étoiles de rire brillaient au coin de ses yeux. Arthur était perplexe. Pourquoi maman souriait-elle? Des doudous qui puent, c'était peut être sans importance. Se rendait-elle compte, enfin, que des doudous qui puent, c'est sans importance? Ils en débattaient souvent, avec plus ou moins d'énervement: Qu'est ce qui était vraiment important pour une vie en communauté où chacun se sente bien? Est-ce qu'un couple devait se séparer à force de cris autour de chaussettes oubliées au pied du lit? Est-ce que chacun devait faire la gueule pour des pantoufles qui traînaient au bas des escaliers? Valait-il mieux une vie dans un joyeux bazar ou un mausolée triste et renfermé? Alors elle n'allait quand même pas gâcher l'ambiance pour ces si doux doudous!
Arthur sentait la pression se relâcher. Il ne savait toujours pas pourquoi mais le sourire de maman s'élargissait:
- " Bon quoi, qu'est-ce-qu'il y a maintenant?"
Maman se mit franchement à rire.
- "Et bien, mon petit chéri, il y a que te voir sucer tes chaussettes sales au milieu de ton tas de doudous, c'est vraiment à mourir de rire.
Le laissant planté là sur son lit, maman tourna les talons, referma la porte de la chambre et laissa son rire fuser et remplacer son énervement premier.