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Le vieil homme n’a plus rien de charismatique maintenant. Shalk le prendrait presque en pitié, mais il sait qu’il ne le peut pas, qu’il ne le doit pas. Il s’est engagé à aller jusqu’au bout. Pour lui, pour les autres.

 

D’abord, il y eut la foule. Une foule qui se préparait à trois jours de fête. Une foule où tous se mélangeaient, tous se souriaient. Une foule en quête de victuailles et de cadeaux pour les jours heureux qui s’annonçaient. Et Shalk était parmi eux, sur ce marché joyeux. On lui avait vanté la douceur de vivre de Selimska et les joies du festival.

 

Et puis, il y eu l’explosion. Le souffle qui vous projette comme un pantin désarticulé, le bruit qui vous assourdit, les projections, le chaos. Puis vint le silence. Un silence terrible et puissant. Et les premiers cris commencèrent à se faire entendre. A ce moment là, malgré la douleur, la poussière qui retombe comme pour reboucher chaque interstice que la bombe a généré, on ne pense qu’à une seule chose : déguerpir, filer le plus loin possible des décombres et des corps.

 

C’est ce que fit Shalk. En retrouvant l’ouïe, il retrouva également le sens des événements. Malgré le sang qui coulait sur ses yeux et la poussière qui se dissipait, il vit d’abord les éclats qui avaient constellés le frontispice de l’église universelle qui donnait sur la place. Il était couvert de creux laissés par tous les shrapnels qui l’avaient abrasé et de couleurs constituées essentiellement les matières molles qui s’y agglutinaient, matières grises et fécales, sur fond de sangs.

 

L’odeur du sang. On ne l’oublie jamais. Shalk s’en prit alors plein les branchies, pour s’en rappeler, toujours. Enjambant les corps, les tripailles et les membres arrachés, titubant plus que marchant dans les flaques de sang et d’humeurs, il se concentrait sur le chuintement de ses bottes. Une femme couverte de sang et que le blast avait dénudée s’accrocha à lui. Il la regarda, ne vit que la peur dans ses yeux devenus fous par la terreur. Délicatement, il la repoussa, il n’était pas là pour aider ces gens, il commençait déjà à se reconstruire.

 

Jusqu’à la bombe, Shalk avait vécu simplement. Il avait quitté son essaim plus tôt que ses frères et ses sœurs. Il voulait voir le monde. Cultivant le chanvre hémostatique sur Cassio, conduisant des camicontainers entre les champs d’exploitation de cérium sur Alderiaun  ou bien en pêchant la griche sur les lacs salés de Tardan, il avait fait mille métiers, vécu mille vies. Il avait emprunté mille chemins de traverses qui l’avaient mené dans bien des lieux, sur bien des mondes.

 

 Il aurait pu se poser quelque part, prendre concubine, mais sa vie c’était le voyage, la découverte. Il n’aimait pas, n’aidait pas. Il ne se reconnaissait de devoirs qu’envers lui-même. L’essaim s’était contenté de le formater ; à lui d’apprendre la vie. Ce n’est pas pour autant qu’il manquait d’empathie. Il restait un enfant de la vie et se devait de la respecter, même s’il ne se mêlait pas de celle des autres. Se gorger de sensations, maîtriser ses émotions, telle était la voie qu’il poursuivait. Jusqu’à ce que ses pas le mènent à Selimska, sur ce marché.

 

Il avait parcourut trois kilomètres, au plus grand effroi de ceux qui le croisèrent, quand les meditechs lui mirent la pince dessus. Shalk n’eut même pas le temps de s’exprimer que déjà l’aiguille sourdait l’anesthésique dans son organisme.

 

Il se réveilla dans la chambre d’une hopistation. Il n’était pas seul. Il apprit plus tard que l’homme qui partageait sa chambre et qui était sous coma provoqué souffrait d’une espèce de chaude-pisse tandorienne particulièrement virulente contractée auprès d’une prostituée de classe 3 sur Kardan. Cela n’empêchait pas ce dernier de ronfler en permanence, symptôme de ce mal étrange, paraît-il.

 

Assez étrangement, c’est un humain qui s’occupa de lui. Jusqu’à présent, il n’avait jamais été soigné par autre chose que des meditechs ou des infirbots. Ce fut un choc pour lui. L’homme s’appelait Roman. Il expliqua à Shalk que les analyses pratiquées sur son corps indiquaient qu’il n’avait rien et, qu’hormis quelques coupures en voie de guérison, il pouvait se considéré comme un miraculé.

 

Roman lui dit également qu’il lui fallait rester à l’hopistation quelques temps, pour parler. Shalk ne comprit pas immédiatement de quoi il voulait qu’il parle. Roman lui apprit alors qu’on l’avait gardé en stase une semaine entière pour les examens mais aussi pour un debriefing psychoneuronal. Sur ce dernier point, les machines n’avaient pas pu rendre de diagnostics, les êtres issus des essaims ont la faculté de rester hermétiques au monde, et le monde ne peut pas non plus accéder à leur psyché. Roman était là pour aider, dans la mesure du possible, Shalk à assimiler ce qui lui était arrivé et comment il pouvait vivre dorénavant.

 

Bien que cela n’intéressat pas Shalk, il laissa le médecin s’occuper de lui. Roman lui parla de l’attentat, des deux cents morts et des cinq cents blessés, dont certains étaient dans cette hopistation, par manque de place ailleurs. En effet, il lui dit que d’autres malheurs s’étaient abattus depuis sur Selimska et que de nombreux êtres en moururent ou furent grièvement blessées.

 

L’attentat passé, le Conseil Universel mena son enquête et désigna le Général Karpok comme responsable du crime. Ce dernier s’était enfuit mais avait également chargé ses hommes de semer la terreur sur Selimska en commettant d’autres attentats plus sanguinaires les uns que les autres. Face à cela comment se protéger ? Les habitants de Selimska ne connaissaient pas la guerre. Les seules armes qu’ils connaissaient étaient de simples frondes qu’ils utilisaient pour la chasse aux oiseaux de feu.

 

Chaque jour, Roman apportait à  Shalk son lot de mauvaises nouvelles. Peu à peu, Shalk comprenait qu’il lui apportait également des valeurs qui ne lui avaient pas été programmées comme la solidarité, l’appartenance à une communauté, le désir de partager. Et puis un jour, alors que Roman se promenait sur les tapis roulants de l’hopistation avec Shalk, il lui présenta Kaali. Au début, il ne comprit pas ce que lui voulait cette femme. Et puis il se rappela cette étrangère couverte de sang qu’il avait laissé à son malheur sur ce marché. Il pensa qu’elle lui en voulait de ne pas l’avoir aidée dans sa détresse. Au contraire, elle lui expliqua comment son fils était mort lors de l’explosion, comment elle s’était retrouvée ensevelie sous les corps, combien de temps elle avait crié, hurlé, à la recherche de son cher petit. Shalk, pour la première fois de sa vie, ressentit une douleur qui n’était pas la sienne. A partir de ce moment-là, Roman commença à lui parler de sa guérison.

 

Un mois plus tard, Shalk fit ses adieux à Roman. Il n’avait jamais aussi chaleureusement salué quelqu’un. Il ne revit pas Kaali car elle s’était donné la mort quelques jours plus tôt. La douleur. Ca avait peiné Shalk. Quand il a pleuré, pour la première fois de sa vie, Roman a décrété qu’il était guéri.  Avant de quitter Selimska, il retourna sur la place. Il regarda longtemps le frontispice. Le sang était lavé mais les marques étaient toujours là, pour le souvenir. Il ferma les yeux. Se rappela à nouveau le bruit, le silence, les cris, le sang et sa fuite. Il pleura longtemps. Il se crut seul et, quand il rouvrit les yeux, il vit tous ces inconnus qui pleuraient avec lui. Il savait qu’il était guéri.

 

C’est sur Maariska qu’il rencontra le vieil homme. Il enchaînait les meetings et il séduisait le peuple. Dans ses longues litanies, il disait qu’il était né sur cette planète et qu’elle était la plus belle de toutes celles qu’il avait visitées. Shalk savait que le vieil homme mentait. Il n’est pas de monde plus beau qu’un autre, c’est leur différence qui fait leur beauté, c’est tout. Mais Shalk se devait d’être là.

 

Le vieil homme disait que Maariska était forte, qu’elle pourrait asservir n’importe quel autre monde, mais que c’était une planète faite pour la paix. Il disait également qu’ici il rendrait les gens heureux et qu’il les rendrait fiers de leur terre. Il finissait toujours en parlant de ses rêves de gloire pour ce monde. Et généralement le peuple applaudissait à tout rompre quand Shalk se contentait de regarder, d’écouter, de vivre le moment.

 

Deux jours avant les élections, alors que le vieillard ivre s’était isolé pour pisser, Shalk réussit à l’enlever. Les médias n’en parlèrent pas. Il était en avance sur ses concurrents et parler de l’enlèvement du vieil homme aurait été contre-productif.

 

Le jour de l’élection Shalk le regarde. Tout ficelé, face à la bombe, le vieil homme se doute bien sa dernière heure est proche. Le baillon l’empêche crier. Personne ne viendra l’aider. Il a juste pour compagnie le minuteur qui tourne et le télévidéosat que Shalk allume en sortant, sans un regard. Le présentateur est là et dit que dans cinq minutes, tout Maariska saura enfin qui est son nouveau gouverneur général.

 

Shalk descend les marches tranquillement. Il se sent plus fort, mais aussi plus humain. Ca le fait sourire. Oui, décidément, il est guéri. Il ferme délicatement la porte à clé. Et traverse la place. C’est jour de marché nocturne. Il y a déjà beaucoup de monde. Il porte une cigarette à son bec et son tentacule fait tourner la molette de son holobriquet. Il est heureux. Et, alors que la radio du forain à côté de lui annonce que Valdimir Karpok est élu dès le premier tour, la bombe explose.

 

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