Angèle devint très vite la maîtresse de Guillaume. Malheureusement, et comme elle le lui avoua rapidement, elle était aussi la concubine du Duc d’Angoulême. Elle habitait d’ailleurs dans un hôtel particulier, offert par son riche amant. Lorsque Guillaume évoqua sa délicate situation, Enguerrand lui conseilla d’asservir ses passions et de déguerpir au plus vite, car, dès que le Duc découvrirait le pot aux roses, sa peau ne vaudrait pas un sou. Bien que reconnaissant la justesse des propos de son ami, notre amoureux ne put se résoudre à quitter la belle Angèle.
Dans sa cellule, Guillaume se morfondait. Vêtu d’une simple robe de chanvre, allongé sur un matelas de paille étendu à même le sol de sa cellule, il repensait aux évènements qui l’avait conduit dans les geôles humides de ce château.
Quelques semaines plus tôt, Guillaume se présentait au Duc d’Angoulême, porteur d’une lettre de recommandation de l’évêque de Poitiers, son parrain. Le Duc l’accueillit fort aimablement et l’invita à rejoindre son armée. Le jeune homme envisagea dès lors l’avenir avec optimisme. Son autorité naturelle et son habileté dans le maniement des armes le destinaient, pensait-il, à occuper un poste charismatique. Déjà tout petit, il maniait la fronde comme nul autre. Et aujourd’hui, il pouvait défier quiconque à l’épée. Guillaume espérait se couvrir de gloire et devenir officier dans les plus brefs délais. Les rapports difficiles, que le Duc d’Angoulême entretenait avec les duchés voisins, risquaient de lui donner l’occasion de se distinguer avant longtemps. C’était sans compter sur l’attraction irrépressible qu’exerçait sur lui la gent féminine.
Guillaume rencontra la douce Angèle, un matin de printemps. Enguerrand lui avait donné rendez-vous devant le frontispice de la cathédrale Saint Pierre et il l’attendait tout en observant distraitement les traverses et montants de la porte richement décorés. Un pas le fit se retourner. Une charmante jeune femme approchait. Petite, la silhouette frêle, elle semblait flotter plus que marcher sur les pavés inégaux du parvis. Elle passa à sa hauteur et, un instant, leurs regards se croisèrent. Subjugué, Guillaume resta figé et incapable de prononcer un mot. Lorsqu’il retrouva l’usage de ses membres et de la parole, la belle était déjà entrée dans l’église. Il remarqua alors un petit mouchoir brodé qu’elle avait laissé tomber par mégarde. Il le ramassa et, oubliant son ami, pénétra dans l’édifice. Son entrée dans le lieu saint le plongea dans la pénombre. Il cligna des yeux, puis chercha la jeune inconnue. Il l’aperçut, agenouillée dans la nef latérale. En s’approchant, il entendit qu’elle dévidait des litanies. Sans doute avait-elle quelque péché à se faire pardonner ? Il s’assit à ses côtés et, sans mot dire, lui tendit son mouchoir. Elle le prit en silence. Ce ne fut qu’après avoir terminé ses prières qu’elle se tourna vers Guillaume et le remercia. Quelques instants plus tard, ils quittaient la cathédrale côte à côte.
Deux jours plus tard, Guillaume et Enguerrand se régalaient de tripailles dans une auberge de renom, lorsque des soldats du Duc entrèrent avec fracas et arrêtèrent le jeune homme. Ils l’emmenèrent sans ménagements et le conduisirent au château. Là, il fut jeté au cachot. Le Duc convoquerait sans doute un simulacre de tribunal qui le condamnerait à la pendaison, qui seule sied aux traîtres. A moins qu’il ne préfère le laisser croupir au fond de sa cellule insalubre jusqu’à ce que mort s’en suive.
Guillaume était plongé dans ses réflexions, quand une sourde douleur au bas ventre le ramena à la réalité. Angèle, la cause de tous ses ennuis, prodiguait ses faveurs à nombre d’autres hommes. Mais de cela, elle ne lui avait rien dit. Elle lui avait offert, comme cadeau d’adieu, la chaude-pisse. Et bien malin qui pourrait prédire qui, du Duc ou de l’infection, aurait finalement raison de lui.