L'orage menace. Va-t-il enfin éclater ?
Par les grandes baies vitrées de la classe, elle le voit s'avancer, noircir le ciel. Il s'approche, couvrant le lycée de son ombre.
Professeurs… élèves, tous sont en attente.
L'adolescente exulte. Elle se sent pousser des ailes, électrisée par ce ciel qui galvanise la ville. Voile sombre et inquiétant qui pourtant, lui semble si familier, si intime. Tel un ami, un messager fantastique qui ne s'adresserait qu'à elle …
C'est l'heure ! La jeune fille s'échappe de la grisaille familière. Légère comme un cabri elle nargue le ciel, gris foncé à présent. Anthracite. De cette couleur cendrée du charbon brûlé. Elle voudrait chanter, crier, danser ! Toucher ce taureau noir et menaçant, le prendre à bras le corps !
Et soudain, les premières gouttes. Petits glaçons sur ses épaules, transperçant sa chemise. Percussions lourdes, rythmées et musicales sur les tôles et dans les flaques. Elle court, comme pour attiser encore la colère du monstre ! Il noircit de plus belle, gronde, habité d'une énergie décuplée. Premiers craquements, sursauts, secousses, la carapace du monde tressaute, tremble. Comme son cœur, comme son jeune corps, bousculés jusque dans leurs profondeurs. Les éclairs fulgurants fusent, déchirent la masse grandiose des nuages. La Voix s'intensifie, ébranle la terre, se répercute dans tout son être. Une montagne, une avalanche, un volcan impitoyable déversant le feu de sa colère. Sentence, mystérieuse, sacrée, dévorante, libératrice.
Une pacification...
Haletante, elle reste là. Grandie. Lavée.
L'orage, peu à peu, s'éloigne. Decrescendo tendre, beau et régulier. Hélas, c'est bientôt fini. Elle va rentrer chez elle. Trempée, soudain pitoyable.
Sa chambre de jeune fille l'attend. Le lit, le bureau, le piano. Elle voudrait jouer quelque chose, une sonate, mais laquelle ? La "pathétique" ? Son cœur explose. Elle referme le couvercle. Elle va pleurer. Trop d'amour se bouscule aux portes de son cœur. Trop de manque. D'absence. A la fenêtre, l'immeuble d'en face affiche son inexorable moue, mortelle d'ennui. Elle connait trop bien ces longs dimanches, face à face avec ces petites fenêtres désespérantes où pleurent, sans doute, d'autres solitudes semblables à la sienne. Alors non, pas aujourd'hui. Elle étouffe.
Le ciel est encore noir, mais trop calme maintenant. Trop silencieux. Il ressemble à ce vide, à cette absence.
Elle va tirer les rideaux.
Mettre un disque, peut-être.
C'est alors que, là-bas, au-dessus des toits, il lui apparaît...
Comme par enchantement…
Silencieux. Si discret derrière cette cheminée, qu'elle aurait pu le manquer.
Il est immense. Fantastique. Sublime.
A la hauteur de la violence de cet orage.
Une immensité qu'elle n'aurait jamais imaginée…
Devant ce miracle, elle n'a plus envie de hurler ni de danser.
Seulement de se taire. De contempler.
Et de tomber à genoux.
Devant l'arc en ciel du monde.