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— Tu as eu raison, Paul, de vouloir cueillir la plus belle rose pour ta maman, c'était une riche idée et une très jolie preuve d'amour. Mais tu vois, il faut faire attention avec les épines. Ne t'inquiète pas, quand vous repartirez demain, je vous en ferai un gros bouquet que vous pourrez emporter. Tu es content ?

Comme toute réponse, le petit garçon demande, l'air coquin :

— Est-ce que je pourrais regarder un film ?

— Bien sûr mon chéri. Que dirais-tu de "Peau d'âne" ?

— Quelle bonne  idée ! renchérit Nicole. Tu te souviens du passage où Catherine Deneuve prépare la recette du gâteau ? Elle est formidable là-dedans…

— Et après, nous ferons nous aussi un gâteau ! Qu'en penses-tu Paul ?

En guise de remerciement : se jeter dans mes bras. Cela vaut tous les plus beaux discours.

Quel délicieux moment nous passons devant la télé, allongés tous les trois sur le grand lit de ma chambre, Petit Paul entre nous deux…

Le film à peine terminé, la sonnette retentit. Sans me lever je soulève le rideau  :

— Oh, c'est pas vrai ! Qu'est-ce qu'il veut celui-là ?

— C'est qui ?

— Oh rien, mon voisin… Le "parvenu" dont je t'ai déjà parlé… Je reviens.

A la grille, ce dernier vocifère :

—  Dis, tu pourrais pas déplacer un peu ta voiture ? J'arrive pas à garer mon quatre quatre ! J'ai des choses à déposer dans le pavillon d'en face…

On ne s'est pas reparlé depuis l'incident de la table en plastique, et voilà sa manière à lui de renouer le contact !

Mais une toute petite voix, mi intimidée, mi curieuse, ricoche derrière nous.

— Bonjour Monsieur…

Mon "bon à rien" se penche vers Petit Paul. Je regarde cet homme trapu. Marqué. Comme il me semble vieux tout à coup ! Rien qu'un p'tit vieux... Brisé par la vie.

— Oh… Bonjour mon bonhomme ! Mais qu'est-ce que tu as là ?

— Une épine !

— Ouh, ça fait mal ça, hein ? Je parie que tu as touché aux roses de Martine, c'est ça ? A son rosier couleur géranium… Il est beau hein ?....

Puis, comme je finissais ma manoeuvre :

— Je disais : c'est une splendeur ton rosier, Martine !

— Ah oui ?...dis-je en claquant un peu trop fort la portière de ma voiture.

— Et le gâteau ? crie Nicole, la main en visière au pas de la porte.

Me voila bien embarrassée. Paul a déjà mis sa petite main dans celle du vieil homme.

— Tu viens manger le gâteau avec nous ? lui demande-t-il.

— Heu…je ne sais pas, j'ai…

— S'il te plaît… supplie gentiment le petit.

Comment résister à une moue aussi touchante ? Nous nous regardons tous. Nicole et son fils semblent attendre de pied ferme. Je n'ai pas le choix :

— Bien sûr, joins-toi à nous, Bernard !

— Chouette ! scande trois fois le garçonnet en gambadant jusqu'à la maison.

Nicole a déjà étalé sur la table la farine, les œufs, le lait…

— Trente minutes devraient suffire…Heu… bonjour Monsieur… excusez-moi, mais... ouste ! Allez, dehors les hommes ! Il y a bien trop de monde dans cette cuisine !

Son fils tire Bernard par le bras :

— Viens, je vais te montrer ma chambre !

— Ta chambre ? s'étonne mon voisin qui connait bien la petitesse de notre maison.

— Oui, mon lit… la "met'- la met'ssaninine"…!

— Et ta mère, où dort-elle ?

— Sur la "mère étienne", dans le salon.

Enfin seules, mon amie me taquine :

— Mais il est sympathique comme tout, ton "parvenu" !

— Mouais…

— Chut...les revoilà... souffle Nicole.

Et joyeusement :

— Encore dans nos pattes tous les deux ? Où allez-vous comme ça ?

— Je l'emmène ! annonce Bernard, un sourire complice en direction de Paul. Je viens d'avoir une idée. S'il veut – et tu le veux, n'est-ce pas, mon p'tit gars ? – il peut venir dormir chez moi ce soir. Je vous le ramène tout de suite pour le gâteau évidemment, mais puisque ce jeune homme semble tellement impatient de visiter sa nouvelle chambre, pas vrai ?... Vous comprenez, celle de mon fils est toujours vide, cela fera plaisir à ma femme... Et si vous voulez, Madame, heu... si cela peut vous permettre de passer plus de temps avec Martine quand vous venez la voir, je peux… je peux vous loger quelques jours… Oh non, ça ne me dérange pas, il est si mignon ! ajoute-t-il en ébouriffant les cheveux du gamin. Nous avons aménagé un studio au sous-sol, continue-t-il. Tout équipé ! Lumineux, ne vous inquiétez pas... Enfin, moi je dis ça… Réfléchissez-y, c'est une proposition honnête…

Nicole essuie discrètement une petite larme qui vient d'éclater dans ses yeux. Elle est blanche de farine maintenant. Nous rions tous.

Je n'en reviens pas. Les yeux de Bernard brillent eux aussi. Et ceux du Petit Paul en disent tellement long…

La porte de la maison se referme sur les deux "hommes". Nicole craque dans mes bras :

— Oh Martine ! dit-elle. Cette journée… vraiment, je ne regrette pas d'être venue. Merci, merci à toi pour cette magnifique journée  !


Je n'ai plus de mots.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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