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 Ce que je vais vous raconter là est une histoire vraie. Cette phrase aurait pu être prononcée par une voix off au début d'un bon film, comme cela a déjà été le cas pour de nombreux long-métrages à succès.

Mais si je l'utilise, c'est parce je pense qu'elle a toute sa place ici. Elle annonce la couleur. D'ailleurs, ce qui va suivre pourrait très bien être le scénario d'une séquence clé dans un thriller. A la différence près, que tout ce que vous allez lire est vrai jusque dans les moindre détails.

 

C'est le genre d'histoire que je mets dans la rubrique « les peurs que l'on a vécues ».

Dès que l'occasion se présente, lors d'un rassemblement familial ou entre amis, il suffit que quelqu'un lance le sujet de la peur pour que chacun y aille de ses diverses expériences vécues avec plus ou moins d'intensité. Pour ma part, je garde ce récit pour la fin, quand on a bien exploité le sujet, quand on est bien rentré dedans et que l'on vient d'entendre le récit qui semble être le plus effrayant. Oui, je finis toujours par relater cet épisode incontournable de mon adolescence en choisissant le bon moment, afin de rendre à cette histoire toute la dimension poignante qu'elle mérite.

Curieusement, à chaque fois que je la raconte, je ressens les même frissons. J'ai la chair de poule, comme si je faisais un bon en arrière dans le temps et que je la revivais, comme si je ne pouvais pas m'en guérir. Vous êtes prêts ? C'est parti...

 

******

 

Cet épisode marquant de ma jeunesse se passe vers le milieu de l'automne. Nous sommes en semaine, je suis seul à la maison. Il est huit heures quarante cinq environ.

Mes parents sont partis travailler et mon petit frère est déjà à l'école. Ce jour-là, je ne commence les cours qu'à neuf heures trente. J'ai donc une bonne demi-heure de libre devant moi, le lycée étant à cinq minutes de la maison.

 

Studieux de nature, je ne trouve rien de mieux à faire que de réviser mes leçons. Je suis donc dans ma chambre, assis devant mon bureau éclairé par une lampe articulée, la tête dans mes notes. A ma gauche, sur tout un côté de la pièce, une baie vitrée en trois parties occupe la moitié supérieure du mur. Les deux vitres à chaque extrémité sont des fenêtres. Les volets mécaniques sont entièrement relevés. Comme nous habitons au cinquième étage d'une tour qui en compte dix-huit, cette ouverture offre une large vue sur le sud de la ville qui, pour l'instant, se réveille lentement.

 

Malheureusement, ce matin-là il fait gris. Le jour s'est déjà levé et plusieurs grosses couches de nuages couvrent tout le ciel. Par endroit, ces lourdes masses gris foncé donnent l'impression qu'elles vont littéralement tomber du ciel. C'est dire si l'éclairage naturel a, malgré la clarté du jour, un aspect plutôt sombre, voire morbide.

Oui, un éclairage très particulier, presque surréaliste. Comme pour donner l'ambiance de ce qui est en train de se préparer à mon insu.

 

Je suis donc là, plongé dans mes cours, la maison baigne dans un silence total qui, plus qu'autre chose, aide à la concentration. La porte de ma chambre est fermée. Je distingue, pour autant que j'y prête quelqu'attention, le son étouffé de quelques rares voitures qui circulent en ville. Les voisins de palier paraissent avoir déserté la tour depuis un moment. Les minutes s'écoulent silencieusement. Moi, je révise.

 

Tout à coup, un bruit clair retentit derrière la porte de ma chambre.

Là, tout près. Un bruit nettement identifiable. Un bruit en deux temps. Pour moi, aucun doute possible : le vélo qui est debout contre le mur du couloir vient de tomber. Le mouvement de la chute a fait qu'il a basculé sur le côté, les roues se sont relevées puis sont retombées, d'où les deux bruits rapprochés que j'ai clairement entendus, mais qui m'ont quand même tiré brusquement d'un calme paisible dans lequel j'étudiais en toute sérénité.

 

Le silence revient aussitôt, comme si rien ne s'était passé. Ma tranquillité, elle, a disparu bel et bien pour ne plus revenir. Cinq fois, dix fois, vingt fois je repasse dans mon esprit ce bruit qui vient de briser le silence sans raison. J'espère ainsi, en le reconstituant dans ma mémoire, me rappeler exactement ce que j'ai entendu au cas où une partie du bruit m'indique ce qui a bien pu causer la chute. Quelqu'un aurait-il trébuché sur le vélo et l'aurait-il fait tomber ? Il y aurait donc quelqu'un dans l'appartement ! Le silence qui suivit était là pour lui assurer que personne ne réagissait, et que donc il était seul ! Mais comment était-il entré ?

La porte d'entrée n'était donc pas fermée ?...

 

Malgré une certaine angoisse qui me saisit instantanément, je m'efforce de ne pas révéler ma présence. Je reste immobile, prêtant l'oreille au moindre souffle que l'Intrus pourrait laisser échapper.

Mes yeux, tout aussi immobile, fixent la poignée de ma porte distante de ma chaise d'environ trois mètres.

 

Les pensées tourbillonnent dans ma tête : mais comment vais-je pouvoir réagir si j'entends quelque chose ? Je n'ai pas d'autre issue de sortie... Je pourrais rester là sans bouger jusqu'à percevoir le bruit de la porte d'entrée se refermer indiquant qu'il serait parti.

Mais s'il ne part pas avant une demie heure... je serai en retard au cours ? S'il se croit seul dans l'appartement, il va tout visiter.

Pire encore : que se passera-t-il si je vois cette poignée tourner ?

Le silence est total, pesant, inquiétant. Les minutes passent lentement. Très lentement. Je regarde ma montre, les aiguilles semblent s'être arrêtées.

 

Plus je prête attention, retenant ma respiration au maximum, plus j'entends quelque chose de l'autre côté de la porte. Je n'en suis pas sûr , mais... Et plus je fixe la poignée, plus je la vois bouger, imperceptiblement. Elle bouge ! Oh, mon Dieu !

 

Non, ce n'est pas possible, je rêve. Je vais me réveiller, c'est certain. Non, je ne dors pas, mais mon imagination me joue des tours.

Cette scène est bien connue au cinéma. La caméra fixe la poignée, les secondes s'écoulent, les spectateurs s'attendent à la voir tourner...le plan se rapproche ... et finalement... elle bouge !

 

Rien. Il ne se passe rien. La poignée reste immobile et le silence aussi.

 

Mais je ne suis pas dupe. L'Intrus a senti ma présence. Il sait que je suis là et il attend. Patiemment. Il a tout son temps. Il a toute la matinée pour réfléchir à un plan. Il attend que je sorte. Il m'attend, moi.

 

C'est fou ce qu'une simple porte peut être, à la fois, protectrice et menaçante. Je pourrais la fermer à clé et rester là. Au moins je serais protégé pendant un temps.

 

La première à revenir à la maison, ce serait ma mère. Vers quinze heure trente. D'ici là, il peut s'en passer des choses... En cas de tentative d'agression, comme de forcer la porte ou de la défoncer à coup de hache (oui, comme dans les films), je peux toujours appeler à l'aide par la fenêtre. J'aurais quelques brèves minutes devant moi pour imaginer comment m'en sortir.

 

Appeler à l'aide ? mais oui, appeler à l'aide ! Le téléphone portable bien sûr ! Mais j'appelle qui ?

 

Mon père est à son atelier, à quinze minutes en voiture.

Ma mère est trop loin.

La police ?...

 

Et s'il n'y avait personne dans cet appartement ? Oui, mais... et s'il y avait quelqu'un ? Le bruit avait été pourtant clair. Un vélo qui tombe derrière une porte, ça se reconnaît quand même. Aurait-il pu tomber tout seul ? Mais oui ! ça arrive parfois.

Alors ?...

 

Bon alors j'en suis où dans mes raisonnements ? C'est très facile : à l'époque, il n'y avait pas de téléphone portable. Et la porte de ma chambre n'avait pas de clé !!

 

Que faire ? Le temps passe toujours aussi lentement. J'essaye de me remettre à étudier, mais c'est peine perdue. Je n'arrive plus à me concentrer. Et s'il surgit d'un coup dans ma chambre ? Non, décidément, je ne peux plus rester là. Et de toute façon il faudra bien que je l'ouvre cette porte, tôt ou tard.

 

Je n'ai pas le choix. Il me faut sortir de là. De ma chambre dans un premier temps, puis de la maison. Ma décision est prise : il me faut ouvrir cette porte !

 

Je me lève donc lentement faisant un minimum de bruit, les oreilles toujours grande ouvertes, prêtes à percevoir le moindre son. Je m'approche de la porte... Et s'il choisissait ce moment où je suis juste derrière elle pour l'ouvrir d'un coup ?... Je m'attends à ce qu'il le fasse d'une seconde à l'autre...prêt à riposter avec cri et attitude de défense comme pour lui faire peur à mon tour. Je reste là immobile, quelques instants. C'en est trop, il faut passer à l'action. Je décide qu'il était temps de le surprendre en ouvrant brusquement la porte. Celle-ci est faite de telle sorte qu'elle s'ouvre vers le couloir. S'il est derrière, il se prendra un coup, et moi, j'aurais l'avantage.

 

Allez je compte jusqu'à trois dans ma tête et j'y vais. J'inspire doucement, un... deux... trois !

 

En une fraction de seconde je rassemble tout mon courage et j'affronte l'inconnu. Mon visage est crispé, je suis prêt à tout. Je ne peux plus faire machine arrière, tant pis !

J'ouvre cette maudite porte avec une rapidité qui me surprend moi même. Le bruit de la poignée paraît assourdissant. La porte s'ouvre trop facilement. Elle ne heurte rien derrière elle. Mais ce que je vois là me glace le sang... j'avais tout prévu sauf ça !

 

Le vélo... Le vélo ! IL EST DEBOUT ! ! Oui, il tient debout contre le mur, alors que je le croyais à terre. J'avais élaboré tout un tas de scénario dans mon esprit, à partir de ce bruit clair qui ne trompe pas pourtant. Ce que j'avais entendu, c'était bien un vélo qui tombait en deux temps, là, juste derrière la porte de ma chambre. Et voilà qu'il est debout contre le mur. Comme avant. Mais c'est incroyable !

 

Si jusque là, l'angoisse m'a pétrifié, maintenant la terreur me paralyse complètement.

Mes yeux qui se sont écarquillés à la vue de ce rebondissement inattendu, parcourent les environs à la recherche du moindre mouvement, d'une ombre, d'un détail quelconque qui me signalerait que l'intrus est toujours là, caché. C'est ainsi que je balaye du regard la chambre de mon frère, dont la porte est restée ouverte, sur ma gauche.  Devant moi, sur cinq ou six mètres se déroule le couloir où se trouve le fameux vélo qui n'est pas tombé, ou qu'on a relevé. Et sur ma droite, porte ouverte, la chambre de mes parents, dans la pénombre, volets fermés. Tous mes sens sont en éveils. Je suis capable, physiquement, de percevoir le moindre souffle dans cet appartement, tant ma tension est extrême. Mais que se passera-t-il si je perçois quelque chose ?

 

Je cherche un moyen, même le plus fou, de me tranquilliser. Comme nous sommes à la période où, à la télévision passent les épisodes de la série Kung Fu, avec David Caradine, je me fais tout un cinéma en me mettant à jouer son rôle. Je me souviens de Maître Pô qui était toujours de bon conseil pour se tirer de situations difficiles, et qui enseignait le jeune scarabé. C'est ainsi que je me vois inventer quelque leçon `shaoline' qui serait sensée me donner le courage qui me manque tant à ce moment crucial.

 

« Quand, dans la forêt, un arbre tombe et qu'il n'y a pas d'oreille pour l'entendre, il ne sera jamais entendu. Et pourtant cet arbre sera tombé... ». Ouais, c'est très joli, mais rien à voir avec ce qui m'arrive en ce moment. Moi, j'ai bien entendu le vélo tomber et maintenant il est debout. L'intrus l'a remis sur pied et s'est caché.

Je ne vois pas d'autre explication. Il a aussi l'avantage de savoir que je suis là, alors que j'ai, moi, le handicap de ne pas savoir où il est. Il peut me surprendre à tout instant. Donc me prendre au dépourvu. Donc me porter un coup fatal. Mais je ne suis pas David Cardamine. Je ne pourrais pas l'éviter. Ici ce n'est pas du cinéma et je n'ai pas du tout envie de rire.

 

Je tente autre chose. Afin de surprendre mon adversaire, je pousse spontanément un cri de Karaté, ou de Kung Fu, comme ça, dans l'air.

Mais ce cri se noie dans l'océan de silence qui m'entoure et n'a d'autre effet que de m'éffrayer davantage. Non, non, non, mauvaise méthode. Tais-toi Charly, tais-toi. Et écoute. Oui, écoute.

C'est le seul bon conseil qui me vient à l'esprit.

 

Les secondes s'écoulent. Rien. Toujours rien.

 

Plus le temps passe, plus le silence devient pesant, voire écrasant.

Et d'autant plus grande et effrayante sera la surprise que me fera mon agresseur lorsqu'il se manifestera, au moment où je m'y attendrai le moins.

 

Ce n'est pas possible. Je n'ai pas avancé d'un pouce. La situation est encore plus tendue qu'avant. Qu'est-ce que je fais maintenant ?

 

Soudain une idée lumineuse traverse mon âme. Je me souviens que dans le hall d'entrée, au bout de ce couloir sur la gauche, se trouve le vélo de mon frère ! Mais bien sûr, c'est le vélo de mon petit frère qui est tombé, voilà tout. Je dois en avoir le cœur net. Il faut que j'aille le voir. De toute façon je n'ai pas le choix, la porte de la maison est dans ce hall d'entrée, il faudra bien que je passe par là pour partir à l'école.

 

Bon, bon, calmons-nous. Je m'arrête dans mon élan à deux pas du hall.

Et si ce vélo-là ... est, lui aussi, debout ? Non, ce n'est pas possible. C'était déjà très improbable que ce ne soit pas le mien qui fût tombé et comme il n'y en a pas d'autre, ça ne peut être que le sien.

 

Mais un doute persiste : le bruit que j'avais entendu était trop clair pour que ce soit celui en provenance de l'entrée...

 

Je n'ai pas le choix, il faut que je vérifie. Et s'il est debout celui-là aussi... Alors c'est qu'il y a quelqu'un dans la maison et il me faudra partir rapidement.

 

Je reviens donc dans ma chambre, ramasse mes affaires, prépare mon cartable et m'apprête à partir, un super noeud dans l'estomac, la gorge serrée, les sueurs froides baignant ma peau des pieds à la tête. Je dois faire un ultime effort, rassembler tout ce qui me reste de courage pour traverser cette maison et sortir de ce lieu hanté.

Je dois faire tout ce chemin du combattant avant de rejoindre l'extérieur, la peur au ventre car, à tout instant, je m'attends au pire : la rencontre avec l'intrus !

 

Allez, j'y vais.

 

Je suis sur le point de tourner au bout du couloir et faire face au hall avec le vélo appuyé sur le mur de gauche et la porte d'entrée.

Là encore, la scène se déroule au ralentis : plus j'avance, plus mon angle de vision pénètre dans cette petite pièce. Mes yeux scrutent le sol espérant apercevoir la roue à l'horizontale... Je suis prêt à tout. Le moment de vérité approche... Et là, ce que je vois me fait l'effet d'un mirage. La fraction de seconde se repasse en boucle dans ma tête, à l'infini, comme une authentique hallucination....Le... 

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