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Vu de l'extérieur c'est un jardin bercé par le creux d'une colline.

Quelques pierres hautes en jalonnent le contour, quelques grès roses sculptés de visages, étrangement beaux.

Le vent soulève délicatement les feuilles mais le soleil d'octobre chauffe comme en Août. Les graviers crissent sous les pas de ceux qui chuchotent le souvenir à voix basse. Une vieille dame que l'on soutient visite sa prochaine et dernière demeure. Des enfants rient entre les pierres, la vie continue.

Je ne m'attarde pas sur les lettres qui gravent vos noms et ces deux dates, résumés laconiques de vos existences. Je préfère marcher et dresser l'oreille, car vos murmures franchissent les pierres et me parviennent, étouffés, comme au travers d'une porte close. Et j'entame un dialogue posthume et dérisoire.

 

- bonjour, heu, chères âmes…

 

- bonjour. Te voilà enfin !

 

- désolée, j'aurais voulu venir plus tôt. Mais je ne crois pas à la présence des esprits sur leur lieu de sépulture…

 

- tu as tort, c'est ici que nous nous reposons. Que viens-tu chercher alors ?

 

- je ne sais pas. Un peu de paix peut-être. Et puis, c'est la saison, c'est joli un cimetière en automne…

 

- En somme c'est pour faire comme tout le monde ! tu me déçois

 

- c'est mieux que rien, non ? Je pensais que vous seriez contents de me voir…

 

- oui, bien sûr, mais tu dois nous dire les vraies raisons. Tu sais, dans la mort, il n'y a plus de faux-semblant, on peut tout se dire.

 

- La vraie raison, c'est que je vais mal.

 

- Ah !...

 

- Je n'arrive plus à aimer ma vie, je suis dans une impasse et je tourne en rond, je m'énerve, je cherche la clef. Tout va trop vite ici-bas. Il me semble…il me semble que c'est un bon moment pour venir, non ?

 

- Mais qu'attends-tu de nous ? nous ne sommes plus. Vivants, tu nous as ignorés, délaissés. Nous ne nous comprenions pas. Tu vivais dans l'action, le présent, tu méprisais nos petites manies passéistes et notre dialogue permanent avec les morts.

 

- J'ai changé. Je ne suis plus si jeune. La modernité me barbe. J'ai 35 ans !

 

- 35 ans, c'est encore jeune pour penser à la mort …

 

- C'est presque la moitié d'une vie. C'est la fin d'une chose, le début d'une autre. J'avais envie de vous écouter, à nouveau, mieux que je ne l'ai fait peut-être. Vous entendre me dire « reprends-toi ma petite fille ! » ça me manque terriblement ! Vous me manquez terriblement. Votre énergie, votre bon sens, votre sagesse.

 

- Le crois-tu, vraiment ? N'oublie pas qu'un cimetière est un lieu de « pas sages » ! Pense aux défauts que tu ne supportais pas : orgueilleux, tatillons, mesquins, réactionnaires ! Tu ne tiendrais pas deux minutes !

 

- Peut-être que si. Je prendrais sur moi, et je comprendrais : que tout cela n'est que le masque de votre peur, de vos regrets, de votre désir de vivre encore. J'avais envie de vous le dire.

 

- Et bien reprends-toi ma petite fille ! Reviens-nous voir dès que ta vie te chagrine. Nous t'attendons ici, dans ce lieu calme et sans âge, loin, bien loin de la modernité…

 

Les murmures des voix anciennes s'est évanoui dans l'air, devenu frais. Combien de temps ai-je ainsi parlementé avec les morts ?

Les «traits passés » s'estompent et je ne sais plus très bien si la vie est là, entre ces tombes, ou dehors. Les derniers visiteurs regagnent leurs voitures (ces cercueils roulants !), et les portes du cimetière vont se refermer. Un ultime coup d'œil en direction du caveau familial m'assure qu'ils m'attendent, mine chafouine et sourire bienveillant, pour l'éternité.

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