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Il était là dans le coin, tout recroquevillé sur lui-même, le petit Léo. Il était là depuis longtemps déjà, calé contre le mur, l'oreille collée contre la porte, ventousée peut-être....

 

Il ne respirait pas ou si peu, juste le nécessaire. Il fermait les yeux pour être sûr de mieux entendre, tout entier voué à ce sens, le rendant unique, en oubliant le reste, même l'essentiel. Toutes ses pensées, toute son intelligence ne fonctionnaient que dans l'hyper concentration qu'il avait toute dévouée à son ouïe. Léo n'existait que pour le son, les bruits et les doux tintamarres du silence qui animaient et rendaient vivante cette porte contre laquelle il se berçait. Elle n'était plus rugueuse, rapeuse et rêche à ses yeux, même fermés, mais reflétait, contenait et redonnait la vie à ses oreilles éblouies. Elles l'étaient, oui, éblouies, ses oreilles! Pleines de ce soleil d'images inventées, naissantes de ces bruits multiples et variés, tous créateurs de couleurs, de rêves ou de cauchemards, bon scénario ou mauvaise histoire, en tous les cas de sens, de cet essentiel à vivre qui nourrit notre être parfois mieux qu'un bon steak....

 

Dérisoire et plus que lamentable....(le steak). Léo se sentait vraiment au-dessus de tout cela. Il pouvait se fondre dans la porte, devenir le bois, les fibres de ce bois, s'oublier et développer à loisir ses oreilles, son ouïe....amplifier le son pour qu'il pénêtre son âme, son être.... la porte n'était plus un obstacle. Qu'elle reste fermée lui était bien égal. Elle était en lui maintenant ou peut-être était-il "elle". Il ne savait plus très bien mais ce n'était pas un problème. Il ne se vouait, ne s'attachait et ne s'attardait qu'à ce qu'il entendait. Et là, à présent, le chant mélodieux d'un bruit tout neuf se manifestait doucement, suspendant dans les airs les bulles et la magie de cet instant. Léo était là, entre deux eaux, n'osant s'accaparer ce bruit nouveau, n'osant le laisser le pénétrer. Il était excité et à la fois très inquiet. Ce bruit ne correspondait à rien de connu, n'engendrait aucune image déjà vue.Qu'allait-il devenir? Allait-il survivre à ce moment d'égarement? Saurait-il se surpasser pour créer encore et encore? Devrait-il se détacher de la porte, s'éloigner d'elle un moment pour se ressourcer, se recentrer sur son monde, ses images, son ouïe, ses sens, le sens de sa vie? Mais il était la porte ou l'avait si bien cru que cette entreprise lui semblait difficile, voire impossible. Le bruit insistait, résonnait, s'amplifiait. Il envahissait à présent chaque recoin de son cerveau, chaque parcelle de sa réflexion, chaque cellule de ses cellules grises. Il devenait tout, un trop gros tout. Pas de repli possible vers la porte. Elle était lui ou il était en elle et elle était fermée. Le bruit la martellait et le secouait par violentes saccades, cascades violentes et bruyantes. Noyantes et ennuyantes. Un trop gros tout, il tombait dans le trou...

 

Des années après Léo se souvenait encore. Il avait quitté la porte, elle ne faisait plus partie de lui. Il en avait rencontré d'autres qui ne l'avaient pas protégé. Ni du bruit et de son silence, ni du vide et de ses marécages. Et si elles étaient souvent restées fermées, les ouvrir ne l'avait pas aidé. Il ne savait toujours pas nager dans cet océan de bruit qu'est la vie.

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