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 Ils sont revenus ! J’en suis certain. Trop longtemps oublié dans cette enceinte, trop longtemps gradé loin de tout, je les sens à nouveau à travers la porte. L’odeur de sueur et de pourriture qui les ont toujours accompagnés… c’est sûr, ils sont de retour !

 

Tout a commencé, il y a une semaine. Enfin, je crois qu’il s’agit d’une semaine. On s’habitue facilement à la lumière du jour, mais on sait aussi s’oublier à la pénombre puis à l’obscurité. Disons que cela fait une semaine. Je travaillais sur un dossier que m’avais commandé un industriel lillois : une usine ultramoderne qui devait démarrer l’an prochain. Un  projet d’incinérateur révolutionnaire qui ne devait produire ni dioxines ni gaz à effet de serre. Je ne voyais pas comment mon agence avait pu accepter ce dossier pour un délai aussi court, mais toujours était-il que le boss me l’avait filé le matin même avec son sourire de fouine. C’est sûr qu’il voulait me pousser à la faute.

J’ai bien essayé de lui dire qu’on ne tiendrait jamais les délais, mais il m’a juste demandé si j’étais à la hauteur. J’ai pris le dossier et suis sorti de son bureau.

 

Putain de dossier… J’ai appelé le professeur Schillinski pour savoir si notre projet de laser à mésons était au point. Il semblait troublé au bout du fil. Il hésitait, ca ne lui ressemblait pas, puis il m’a répondu qu’il avait été contacté par le boss qui lui avait interdit de me venir en aide. Saleté de fouine. J’ai raccroché alors qu’il se confondait en excuses, évoquant sa carrière, sa putain de famille, son fichu visa. Je devais me débrouiller seul pour trouver une solution, et vite.

 

C’est en y regardant de plus près que je me rendis compte d’une énorme anomalie dans ce dossier. En effet, ils désiraient y détruire des déchets médicaux à radioactivité longue. Cela relevait du secret défense. Depuis 2003, le nucléaire, même civil, relevait de la sécurité nationale dans ce pays. Là, j’ai su que mon boss avait fait le con. Il n’avait pas lu tout le dossier et venait de m’offrir le moyen de le planter, et en beauté. Ce soir-là, je me suis couché sans somnifères car, bien que cela ne me soit plus arrivé depuis bien longtemps, je savais que j’allais dormir comme un bébé. Je commençais à rêver de mon entretien du lendemain avec le journaliste de la seconde chaîne nationale que j’avais contacté un peu plus tôt. Je revoyais toutes les humiliations que le boss m’avais fait subir ainsi qu’aux autres pauvres types de la boîte, y compris ce pleutre de Schillinski… Ca m’avait coûté plusieurs dépressions jusqu’au divorce et cette fichue semaine d’août où ma femme a eu la garde des filles et où cette salope s’est barrée avec Sandy et Lisa sans laisser d’autre adresse que celle de son ripoux d’avocat. Décidément la nuit allait être bonne.

 

On frappait à la porte… J’ouvris les yeux, regardai le réveil dont l’écran LCD m’annonçait 6h00 du mat. Rapidement j’enfilai le peignoir que Christel m’avait offert pour notre premier anniversaire de mariage, au moins cette conne me l’avait laissé. Arrivé en bas des marches, je regardai dans le judas et vis deux types en bleu de chauffe. J’ouvris sans hésitation et les regardai bien en face.

 

-         Messieurs, vous savez quelle heure il est ?

 

-         Nous nous excusons de vous déranger, mais les égouts de la ville sont bouchés depuis ce matin à cause des pluies importantes de cette nuit qui ont saturées le réseau, me dit le plus grand.

Des égoutiers, à six heures sur mon pallier. Je me pinçais pour m’assurer que c’était bien réel lorsque le second reprit :

 

-         Une canalisation passe sous votre domicile et nous devons nous assurer que les eaux circulent correctement sous votre maison.

 

-         Maintenant ?

 

-         Ca ne prendra qu’un instant, monsieur, on doit juste écouter le sol avec une espèce de stéthoscope pour connaître l’état des conduites avant de passer à la maison suivante.

 

-         Entrez donc, me résignai-je, la porte de la cave se trouve au fond du couloir à gauche.

 

Alors que je refermais la porte derrière eux parce qu’il ne faisait pas vraiment chaud ce matin-là, je repensais à cette histoire de pluies qui n’avaient pas vraiment troublées mon sommeil si léger habituellement quand j’ai ressenti une douleur à la tête et retrouvé un sommeil pour le moins artificiel.

 

J’ai passé les jours qui suivirent dans le noir complet de ma propre cave. Attaché à la rampe de la cave, juste à côté de la porte, avec une corde dont je n’ai pas réussi à me défaire. Ils m’avaient laissé là, sans lumière ni nourriture, juste une paille entre les lèvres et un liquide sirupeux que j’ai bu en deux jours. J’ai cru que j’allais crever jusqu'à ce que j’entende des pas dans le couloir et sente cette odeur forte. J’entends la clé qui joue dans la serrure et la porte s’ouvre.

 

La lumière me fait souffrir. Elle est trop forte alors que je me suis habitué à la faim et à la nuit.

 

-         Comment va mon rat favori ?

 

Je connais cette voix, ouvre les yeux, me force à fixer l’homme.

 

-    Mais c’est qu’il n’est pas trop abimé après son petit séjour en sous-sol, dit la voix en gloussant

 

La fouine… ce chien de boss. Je veux crier, mais aucun mot ne sort de ma bouche, la soif a fait son œuvre et ma langue a triplé de volume dans ma bouche. L’odeur revient plus forte… mes deux égoutiers se tiennent devant moi et… ma femme se pend au coup de la fouine ?

 

-         Il est chou, ce con, dit-elle en jouant avec la cravate de mon boss.

 

-         Finalement, je vais être sympa avec toi. Je t’ai débarrassé de ta femme ; elle gênait ta productivité. J’ai enfin pu obtenir le transfert des brevets que tu as déposé en ton nom alors qu’ils appartiennent à la société.

 

Je crie mais il n’y a que mon silence et la voix de la fouine.

 

-         Je t’évite même de violer le secret professionnel. Je sais, ne me remercie pas.

Finalement donc, je te libère de tes obligations à mon égard.

 

Je respire de plus en plus difficilement alors que le boss se retourne et sort un objet de sa poche.

 

-         T’es viré, connard.

 

C’est à ce moment que je vois le canon se tourner vers mon visage et que j’entends le cliquetis du percuteur qui commence sa trajectoire mortelle. 

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