Il s’appelait Arthur. Il était gentil, honnête, droit, travailleur, ambitieux, indépendant. Il était vrai. Authentique. Son regard semblait toujours ailleurs, dans un autre univers.
Quelque part où personne n'avait accès. Souvent, je me surprenais à vouloir rejoindre son ailleurs, je lui en parlais et il revenait alors au présent. Etonné de ma demande. Ne réalisant pas que quelques secondes plus tôt, il n'était pas présent. Il me disait que je me trompais, qu’il était heureux, et que si son regard partait au loin parfois, c’était parce qu’il avait des rêves plein la tête et qu’il cherchait un moyen de les réaliser. Avec moi. Pour moi.
Puis, un jour, le drame survint. La séparation. La porte qui se ferme. La porte qu'il a fermé. Que son esprit a fermé. Le choc fut énorme et fit d’un homme complètement rationnel, un être tout à fait dépendant de moi. Il devint une loque, une caricature d’être humain, se barricadant derrière des cartomanciens et des gourous pour tenter de survivre. Il me coupait des mèches de cheveux et les plaçait sur des cartes de magie noire. Il dormait avec un poignard sous l’oreiller. Pas pour me tuer, ou se tuer lui-même, mais pour détruire le démon qui ne manquerait pas de vouloir venir me prendre pendant la nuit. Il hallucinait, placardant des croix et des images pieuses dans tout l’appartement. Le soir, lorsque je rentrais du travail, il restait fermé derrière la porte de la chambre. Attendant que les secondes, les minutes, les heures passent... Il imaginait que lorsque je rentrais, le diable rentrait avec moi et donc, il fallait attendre quce diable se lasse et qu'il reparte. Alors, au bout de quelques heures, un peu plus apaisé, il ouvrait la porte et sortait. Juste la porte de la chambre, pas de l'appartement. Il n'a plus jamais ouvert la porte de l'appartement. Dehors, il avait Satan. Dehors, il y avait les autres qui étaient possédés, anésthésiés dans le mal. Son esprit avait basculé. Il n’était plus lui. Par moments, je retrouvais l’être que je connaissais, que je pensais connaître. A d’autres, ce personnage inconnu prenait possession de lui et je me retrouvais devant l’incohérence et l’incompréhension d’une situation qui me dépassait totalement. Comment un homme doté de tant de cohérence, travailleur acharné depuis toujours, depuis qu’à 16 ans, il avait quitté le domicile de ses parents, pouvait ainsi basculer dans la déchéance la plus complète?
De battant, il était devenu loser. Sa raison n’avait pas basculé. C’était juste la manière que son esprit avait trouvé pour me faire comprendre qu’il ne parvenait pas à vivre sans moi. Il avait mis 10 ans à le comprendre. 10 ans de souffrance qu’il reconnaissait soudain m’avoir fait vivre. J’ai subi ce chantage pendant des années. Me détruisant à petits feux. Me barricadant derrière la porte de l'oubli de moi-même. La porte des larmes. La porte de la compassion. Toutes ces portes qu'on ouvre et qu'on oublie parfois de refermer. Toutes ces portes qui nous narguent et qui pourtant nous donnent envie de les ouvrir, dans l'espoir que derrière elles, ce sera peut-être mieux... que derrière, il y a peut-être l'espoir.
Aujourd’hui, je ne lui en veux pas. La souffrance parfois nous fait devenir fou.
Il a fait ce qu’il a pu. Il a fait mal.