P6 Cloclo - La dernière porte

Ca commence par quoi, une vie ? Un obstacle à franchir? Une porte ? La première, quoi qu'on dise, n'est pas la plus terrible. On la passe sans angoisse, sans savoir ce qu'il y a de l'autre côté. Puis vient l'enfance, celle des portes bleues, des portes roses, des portes que l'on force à grands coups de pied, sans réfléchir, sans s'inquiéter de l'autre. On défonce, on s'acharne, on bouscule, on colère, on brutalise, on s'amuse gaîment en somme.

Puis viendront les portes blindées, les portes fermées, les portes verrouillées, les portes infranchissables, les portes d'à côté. "Finissez d'entrer", vous dira-t-on d'une voix engageante. Mais vous n'entrerez pas, pour ne pas déranger. Vous n'aurez jamais assez de temps pour élucider le mystère de ces portes, qui s'ouvrent et se referment au gré de leur caprice, et du sens favorable ou non de la vie. Pourtant, c'est sûr, la lumière est si vive là-bas, au delà de la porte, que les oiseaux semblent la griffer de leurs ailes vrillées. Vous allez entrer, vous êtes en passe de bonheur, il y a des signes qui ne trompent pas, mais vous avez laissé le code à l'entrée.

Pas de chance, il va vous falloir retourner sur vos pas, faire  le chemin à l'envers, revenir dans cette ancienne éternité, celle du "temps figé", ce beau temps de l'enfance dont vous vous croyiez débarrassés. Quoi que vous fassiez, vous devrez essuyer vos pieds au paillasson de vos rêves, il n'a d'ailleurs pas vraiment séché, recoller vos souvenirs, reformer votre passé, en repeindre à grands coups de marqueur les contours estompés. Puis vous observerez un temps d'arrêt.

Vous voici à la dernière porte, celle qui ouvre la maturité. C'est la même, mais en sens inversé, comme neuve, intacte, sans les traces des petits doigts du passé. Un envers de porte pour un retour obligé. Repassez votre vie, tentez d'en extraire les meilleurs moments, vos plus belles rencontres, vos uniques amours, vos émois les plus forts, vos projets aboutis, vos délires insensés. Laissez tomber le reste, il ne faut plus y penser. Quand vous aurez enfin pris conscience de la douceur du Temps et de la brièveté de la Vie, alors, poussez la porte, la dernière, et laissez vous aller.