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Un jour, je me suis suivie oui, suivie.

J’avais eu une petite envie schizonévrotique, un désir de me scinder, de me segmenter. J’étais allée alors chez mon boucher et avec sa hachette magique, il m’avait tranchée, nette. De une, j’étais devenue deux. Petite folie douce me direz-vous, non folie carrément d’ubiquité franche.

J’étais sortie par la porte de devant, en tout cas, mon côté droit, mon côté gauche par la porte arrière. J’avais l’air un peu tranchant de viande, avec un joli profil de hampe.

Je voulais glaner la vie sans perturber certaines de mes qualités pensant là n’avoir plus rien à équilibrer. Je voulais m’essayer à exacerber chaque aptitude inhérente à chaque moitié de mon encéphale, sans les contrebalancer, comme je le faisais depuis tant d’années. Une envie de me couper de l’harmonie cérébrale et de m’absoudre de moi un instant, enfin je ne voulais qu’un instant. Mais en fait la course à l’être ne m’a plus jamais lâchée. Course absurde et entêtante.

De chez le boucher d’Os, je m’étais donnée rendez-vous chez mes amis de la pétanque. Pointer, tirer serait moins un problème d’arrache cervelle. A deux maintenant, on allait les zigouiller, les concurrents.

 

C’était cette raison toute banale qui m’avait poussée à vouloir en finir avec mon unité. Et toutes celles qui faisaient qu’à chaque jour suffisait son lot de questions existentielles non résolues.

Donc que faire ?

L’imagination m’avait susurré le remède miracle, le coup du boucher averti !

 

Mais quand j’ai voulu conduire ma voiture, enfin ma moitié droite  parce qu’elle avait la moitié d’encéphale approprié, je fondis en larmes, enfin du seul œil qui me restait !Arrgghh, j’avais oublié la clé ou du moins la clé était restée dans la poche de mon autre demie.

Je crus à la phase dépressive, à la crise d’angoisse mais là encore comment s’angoisser quand on n’est pas réunis ? Pour cela, il faut les deux parties de soi, moi unifié, et patalipatala…disent les grands spécialistes.

 

Alors j’ai eu envie de repartir à ma rencontre pour ne plus être effrayée par ma dissociation d’une part et d’autre part pour trouver cette fichue clé.

Mais quand on s’est laissé, ne serait-ce 24 heures, pensez-vous qu’il soit possible de complètement se reconnaître ?

Alors je me suis mise à me rechercher cahin-caha, ramassant les moqueries des passants n’ayant de cesse de me narguer sur ma minceur exagérée et sur mon allure un peu découpée. Un peu dégingandée, je vous l’accorde. Pas de quoi impressionner un grand couturier parisien ou très futuriste.

C’était urgent.

Je devais être rapide, il fallait que j’embrasse mes enfants avant la nuit.

 

Je me mis alors à emprunter la rue des mille couperets et là que fut ma surprise, je vis mon autre moitié enfourcher un vélo.

Rien que de la provocation pensais-je. Je courus de ma seule jambe, à perdre haleine.

Vous me direz, j’avais déjà dû la perdre mon haleine quand je pris la décision de me scinder pour consommer ma rupture.

 

Mais rupture que je ne voulais que momentanée, rappelez-vous.

 

Je retrouvais le vélo alors devant une porte cochère. Magnifique porte d’un immeuble du siècle précédent avec balcons de géraniums rouges et odorants. Immeuble qu’il me semblait reconnaître. Mais, sans mon autre partie de cerveau, rien à faire. J’avais beau me presser la moitié du citron qui me restait, rien à faire. Le désert, vide absolu.

 

Alors que je prenais l’ascenseur, je vis des indices qui me faisaient croire à ma future réunification : cheveux châtains laissés ça et là et un de mes bas devant une porte jaune à en faire hurler un facteur.

J’allais frapper quand j’entendis des cris de joie profonde m’avertissant que ma moitié s’amusait follement.

 

Alors agacée de faire tapisserie devant une jouissance qui m’appartenait et de ne pas être de la partie rustique de jambe en l’air qui se tenait là manifestement sur le tapis du salon, je partis piteuse sur la pointe du pied.

 

Je ne revis jamais ma moitié, je ne pus reprendre ma voiture.

 

Je dus seulement me résigner à regagner mon domicile conjugal qui m’accueillit de toute façon s’apercevant tout juste de mon nouveau look. Et s’en fichant de toute façon éperdument.

 

J’avais été quitté par mon moi passion.

 

Mon amant n’avait pas été dupe de la manigance mais préférait bien mieux cette nouvelle demi personne qui restait enfin près de lui et ne désirait plus regagner le soir le lit nuptial. La moitié de moi lui suffisait aussi.

Je dus me résoudre à une nouvelle solitude, être seule en manque de moi.

Alors un conseil, n’essayer pas de vous scinder, de vous quitter, ne serait-ce qu’une minute, vous risquez la perte ultime, fondamentale. Et à jamais. Ou alors, défoncez toutes les portes qui ne vous permettent pas d’être en paix avec vous-même.

N’acceptez pas votre pusillanimité, votre couardise comme évidente, de fait.

Prospectez toujours votre moi idéal.

Mais pourtant, n’est-ce pas ce qui manque qui donne la raison d’être ?

 

Question de toute façon sans réponse.

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