Je devais avoir dix ans. Ma grand-mère m’avait invitée à passer les vacances de Toussaint chez elle. Je m’en faisais une joie car je l’adorais. Seule ombre au tableau, je devais dormir dans la chambre du haut. Celle qui donne accès au grenier. Je ne sais pas pourquoi, j’avais toujours eu peur d’y rester seule. Généralement je partageais le lit avec ma grande sœur, mais cette fois elle ne serait pas là.
Mes parents me déposèrent un mercredi soir. Après le dîner, ils nous laissèrent, ma grand-mère et moi, en tête à tête. Mamée m'aida à monter mes bagages. Elle avait déjà préparé le lit avec des draps blancs, un peu rêches, mais qui sentaient bons la lavande. Là, elle me demanda :
- Tu es heureuse d’être ici ?
- Bien sûr Mamée !
- Tu vas voir, on va bien s’amuser ensemble !
Sur ce, elle se mit à me faire des chatouilles et je me roulai en riant sur l’édredon moelleux. Puis, ma grand-mère décida qu’il était l’heure de se coucher et, après m’avoir bordée et avoir déposé un gros baiser sur ma joue, elle éteignit la lumière en me souhaitant : « Bonne nuit ! Que les anges te protègent ! ». Je ne sais pas pourquoi Mamée disait cela. Mais loin de me rassurer, cette petite phrase avait plutôt tendance à m’effrayer.
Cela faisait déjà longtemps que je tournais dans mon lit sans parvenir à trouver le sommeil. Dehors, le vent soufflait violemment agitant les peupliers du jardin. Un chien du voisinage hurlait à la mort. C’est alors qu’il me sembla entendre un frottement derrière la porte du grenier. Pour me rassurer, je tentai de penser à des choses bien réelles. Cette chambre était celle de tonton Jeannot quand il était petit. Maintenant, il était maçon et n’habitait plus chez grand-mère… Encore ce bruit. Comme si quelqu’un grattait le bois avec ses ongles. Je ne bougeai pas. Peut-être que si je faisais semblant de dormir, la chose qui griffait le battant, cesserait. Je ne sais pas combien de temps je restai pelotonnée sous les draps, à épier le moindre son anormal, mais je finis par m’endormir.
Le lendemain, je parlai de ma terreur nocturne à ma grand-mère. Elle ne se moqua pas de moi mais me dit quelque chose de bizarre :
- C’était probablement un doryphore !
- C’est quoi un doryphore, Mamée ?
- Une petite bête qui normalement mange les feuilles de pommes de terre…
Je ne voulais pas la contrarier mais je ne voyais pas très bien comment cette bestiole avait pu se retrouver dans l’escalier du grenier. Puis elle m’emmena dans sa chambre et sortit du tiroir de sa commode un médaillon doré.
- Tu vois, me dit-elle en le fixant autour de mon cou, il représente un doryphore. Il m’a été offert par ma mère, quand j’avais ton âge.
J’étais tellement heureuse de porter ce bijou qui avait appartenu à ma grand-mère et à sa mère que j’en oubliai les raisons de ce cadeau.
La journée se passa agréablement. Dans l’après midi, nous nous rendîmes au parc où je jouai avec des enfants du quartier. A notre retour, Mamée nous prépara un de ces goûters dont elle avait le secret : chocolat chaud, tartines beurrées et confiture de rhubarbe. Nous jouâmes au « Jeu de l’Oie » et je gagnai la partie. Après le souper, nous regardâmes un film de cow-boys et d’indiens à la télé. Puis, comme j’avais un peu mal à la gorge, ma grand-mère me prépara un grog. Elle fit bouillir de l’eau dans une casserole, ajouta quelques rondelles de citron, une cuillérée de miel et une rasade de rhum. Elle versa le tout dans un bol et me le fit boire pendant que c’était chaud. Ensuite, après m’avoir débarbouillé le visage avec un gant frotté de savonnette, elle me mit un de ses foulards en soie autour du cou, en me recommandant de le garder toute la nuit. Enfin, elle m’administra une tape sur la croupe et m’envoya au lit, non sans m’avoir confiée aux anges.
Quelques minutes à peine s’étaient écoulées quand le son entendu la veille se reproduisit. S’agissait-il d’un doryphore, comme l’avait dit Mamée ? Je décidai d’en avoir le cœur net. Je me levai et, d’un pas mal assuré, me rapprochait de la porte.
J’hésitai un instant puis l’ouvrit à toute volée. Soudain prise d’une peur panique, je pliai les jarrets et me retrouvai à genoux. Devant moi se trouvait une petite créature qui ressemblait fort à celle du médaillon. De couleurs noire et jaune, elle diffusait, comme une luciole, de la lumière. Elle se tenait debout sur ses deux pattes arrières, et semblait hésiter sur la conduite à tenir. Enfin, elle se décida à avancer vers moi. Je restai figée. Elle me toucha le bras d’une de ses antennes et une pensée me vint aussitôt à l’esprit : « Je ne te veux aucun mal ». Se pouvait-il que par simple contact elle puisse communiquer avec moi ? Ou était-ce le médaillon ? Je le sortis de sous ma chemise de nuit et constatai qu’il brillait de la même lumière dorée que dispensait l’insecte. Je balbutiai à mon tour :
- Qui es-tu ? Et que fais-tu dans le grenier de grand-mère ?
La créature s’adressa de nouveau à mon esprit :
- Je ne suis pas un insecte ordinaire. Je viens d’une autre planète. Je suis arrivé avec quelques uns de mes congénères il y a maintenant bien longtemps. Notre engin spatial a été détruit lors de l’atterrissage et nous avons élu domicile dans ce grenier qui était inoccupé. Un jour, une petite fille nous a découvert. Elle est venue souvent nous voir et nous apporter de la nourriture. Peu à peu nous avons appris à communiquer. Maintenant, elle n’est plus là, et c’est sa fille qui s’occupe de nous.
- Grand-mère ?
- Oui. Elle veille sur nous et nous veillons sur elle.
- Tu es très vieux ?
- Oui et je mourrai bientôt. Mais il y a parmi nous de jeunes individus. Voudras-tu prendre soin d’eux lorsque ta grand-mère ne sera plus là ?
Sans hésiter je répondis :
- Bien sûr ! Comment t’appelles-tu ?
- Ton arrière grand-mère m’a baptisé Ange.
Je comprenais tout à coup les paroles de ma grand-mère. Je quittai Ange et me recouchai. Désormais je n’aurais plus jamais peur, car les doryphores, mes anges gardiens, surveillaient mon sommeil.