- Tu l’as tué ! Tu es un monstre, assassin ! hurlait Michèle Mercier à l’en-contre de Joël Thenon.
Deux policiers tentèrent de la calmer, alors que deux inspecteurs dirigeaient Joël, dans un coin retiré de la pièce. Michèle était hors d’elle. Quand, dans le grand parc attenant à la demeure, elle vit, par la porte-fenêtre du salon, des brancardiers se diriger vers l’ambulance, tenant la civière où le corps de son mari reposait, elle éclata en pleurs.
- Tu étais jaloux de notre bonheur et tu l’as tué ! Assassin !
- Madame Mercier, s’il vous plait ! tenta de l’apaiser un policier en tenue. Il l’accompagna vers la sortie, en lui offrant son bras pour la rassurer et la soutenir.
Les deux inspecteurs jetèrent un regard vers eux puis s’occupèrent de Joël Thenon.
- Bien, Monsieur Thenon, pouvez-vous nous raconter toute l’affaire ? demanda l’inspecteur Yves Frémont.
Joël poussa un profond soupir. Il s’assit et invita les policiers à en faire autant, puis déclara :
- Il y a un mois de cela, j’ai engagé Alain Mercier pour mener une enquête d’un genre un peu spécial.
Alain Mercier sortit de sa Twingo. Impressionné par l’imposant château qui lui faisait face, il avança timidement vers le majestueux portail du bâtiment. Le détective sonna et quelques secondes après, Joël Thenon lui ouvrit. Abasourdi par la découverte de son nouveau client, Alain lâcha :
- Joël ? Joël Thenon ? C’est bien toi ?
- Oui, Alain ! C’est bien Joël, ton ami d’enfance !
- C’est donc toi, le nouveau châtelain !
- Comme tu dis ! Mais entre, ne reste pas sur le palier !
En pénétrant dans le vaste salon, Alain siffla d’admiration.
- Ca te plait ? l’interrogea Joël.
- Il faudrait être bégueule pour ne pas apprécier !
- Alors quoi de neuf ?
- Quoi de neuf ? Ce serait plutôt à toi de m’en dire plus.
- Oh c’est tout simple ! J’ai eu un coup de bol du tonnerre et puis, il y a maintenant huit mois, j’ai investi dans ce château, plus en souvenir du bon vieux temps que par intérêt.
- Oui, j’ai vu que tu avais fait fortune en créant une start-up de services sur Internet.
- Internet, ce n’est que le haut de l’iceberg, la vraie histoire de ma fortune se trouve ailleurs.
- Comment ça ?
- Hé bien, comment dire ? C’est un peu pour la même sorte de raison que je t’ai appelé. Tu dois découvrir pour moi quelque chose, tu dois accomplir une mission.
- Une mission ? C’est la vraie raison de ma venue ici ?
- Oui ! Tu es bien détective privé ?
- Oui, bien sûr ! Et le meilleur de la région !
- Je n’en ai jamais douté, d’ailleurs Michèle non plus ! Tu t’es bien marié avec elle ?
- Oui, depuis près de huit ans maintenant. Mais, que vient-elle faire dans notre affaire ?
- Oh rien ! J’en parlais juste comme ça ! Tu es heureux avec elle ?
- Très heureux, elle m’a donné en plus un petit garçon qui a maintenant cinq ans et tout va pour le mieux. Même si nos finances sont loin d’atteindre la qualité des tiennes.
- Dans la vie, ce n’est pas ça le plus important !
- Tout de même ! Alors, l’enquête ?
- Oui, voilà ! Je vais te donner quinze jours pour que tu retrouves une porte dans ce château ?
- Une porte ?
- Une porte ? reprit, interloqué, l’inspecteur Bernard Anouard.
- Une porte à découvrir dans ce château, c’était cela l’enquête ? interrogea, tout aussi stupéfait, Yves Frémont.
- Oui, je sais ! Ça surprend ! Mais, j’ai découvert dans ce château un livre ancien qui parle d’une porte mystérieuse, pouvant procurer gloire et fortune.
- Un livre an… ancien ! balbutia Anouard.
- Vous croyez à ce genre de conneries ? surenchérit Frémont.
- Si j’y crois ? Mais comment penses-tu, mon cher Alain, que j’ai fait fortune aussi vite ? répondit Joël Thenon.
- Ben !!! Internet, la start-up ! Non ?
- J’ai créé mon site après être devenu très riche !
- Alors, explique !
- Dans mes périples lointains, j’ai longtemps trimballé ma grande carcasse dans des pays exotiques et mystérieux. Durant mes longues marches, à la recherche de spiritualité épanouissante, j’ai rencontré un gourou qui m’a enseigné beaucoup de choses et prodigué une certaine forme de sagesse.
- Un gourou ? Toi ?
- Oui ! Moi, l’agnostique de base ! J’ai avalé tous ses conseils avisés, retiré le plus intéressant et bien vécu à ses crochets dans son ashram, pendant de longs mois.
- Et alors, la fortune dans tout ça ?
- Le maître, toujours dispensateur de sagesse, allait de village en village pour divulguer à la populace crédule la sainte parole. Lors d’un de ses périples, longeant un fleuve capricieux, il a fait une chute. Reliquat d’un courage que je ne me connaissais pas, j’ai plongé pour le récupérer. Je lui ai, en quelque sorte, sauvé la vie. Le soir, il m’a confié le secret de son état zen et un petit grimoire, permettant à son propriétaire d’exaucer quelques vœux.
- Un grimoire et pourquoi pas une baguette magique ?
- Rigole, rigole ! Mais, quand je suis rentré au pays, j’ai appliqué à la lettre les consignes du livret pour devenir très riche. Tout le monde pensa que j’étais devenu fou.
- Et la fortune t’est tombée comme ça, par enchantement ?
- En quelque sorte, j’ai gagné 26 millions d’euros à l’euromillion !
- 26 millions ??? balbutia Alain.
- 26 millions, reprit hébété Bernard Anouard.
- Je sais, ça fait rêver ! confirma Joël.
- Tout ça grâce au grimoire ? relança Yves Frémont.
- Oui tout à fait ! En tout cas, c’est comme ça que je l’ai interprété !
- Vous l’avez toujours ce gri… ? osa demander Anouard.
- Non. Les consignes étaient strictes, une fois les vœux réalisés, il fallait le brûler.
- Je vois ! déclama Anouard, bougon.
- Et vous vouliez recommencer l’expérience avec ce livre ? interrogea Frémont.
- D’après le livre, affirma Joël Thenon à son ami Alain Mercier, si je découvre cette porte, gloire et fortune me seront promises.
- Tu ne crois pas que tu as assez de fortune comme cela ?
- Je me contenterai de la gloire et partagerai la fortune avec toi, à condition que tu trouves cette porte.
- Tu es complètement fou ! conclut Alain Mercier.
- Tu seras logé et nourri sur place et payé 500 Euros par jour !
- 500 Euros !… Montre-moi ce livre !
- Je savais que cela t’intéresserait !
Joël sortit un instant du salon. De retour dans la pièce, il étala un vieux livre, recouvert d’or, et un plan sur une table basse.
- Voilà le plan du château, j’ai mis une croix sur toutes les portes existantes que j’ai déjà repérées. La porte que l’on cherche doit être une sorte de passage secret, comme l’indique le livre.
- Montre-moi le livre !
- Tiens, voilà le chapitre où il parle de la porte.
- Je vois, dit Alain, en lisant rapidement le texte en question. Et là, il manque une page ?
- Oui, mais l’essentiel est dit dans les autres pages !
Alain Mercier les relut avec plus d’attention, sous les yeux impatients de Joël.
- Alors ? lança-t-il.
- Alors ? enchaîna Yves Frémont.
- Il a accepté la mission, confirma Joël. Je lui ai donné une des chambres d’amis pour qu’il s’installe. Puis, je ne me suis plus occupé de lui. Pendant plus de quinze jours, il a fouillé partout : dans le château, le jardin et la cave. Il passait carrément toutes ses journées ici et souvent ne rentrait pas chez lui, au grand désespoir de sa femme. Je le voyais peu, j’avais beaucoup de travail avec mon entreprise. Je le croisais rapidement parfois, mais, comme il ne me disait rien, je concluais qu’il n’avait pas encore trouvé la fameuse porte. Un soir, sa femme m’a téléphoné, en me demandant des nouvelles de son mari.
- Mais il n’est pas chez toi, Michèle ?
- Non, ça fait deux jours qu’il n’est pas rentré ! répondit Michèle Mercier.
- Tu sais, je ne suis pas tout le temps derrière lui. Il s’organise comme il veut, il a une chambre ici. Je vais voir s’il ne s’est pas endormi.
- Et c’est comme ça que vous l’avez découvert ? demanda Bernard Anouard.
- Non, inspecteur ! Ce soir là, je ne l’ai pas trouvé du tout, ni dans la chambre ni ailleurs.
- Qu’avez-vous pensé à ce moment là ? renchérit l’inspecteur Frémont.
- Rien de particulier ! Qu’il avait eu envie de changer d’air ! Toutes ces recherches lui avaient peut-être mis le cerveau en compote.
- Et il n’aurait pas averti sa femme ? lança Frémont.
- J’en sais rien ! affirma Joël.
- A aucun moment, vous n’avez pensé à un malheur ? suggéra Frémont.
- Non ! Lors de notre jeunesse, il aimait bien aller vider des verres dans une boite de nuit de la région, «Le blues set». Il partait, sans prévenir, se saoulait la gueule et cuvait son alcool pendant deux ou trois jours dans un lieu qu’il cachait à tout le monde. J’ai pensé qu’il avait fait la même chose.
Alain Mercier n’avait pas agi comme lors de ses jeunes années, puisqu’il avait passé toutes ses journées et ses nuits à vouloir percer le mystère de la porte dérobée. Il avait lu à plusieurs reprises le livre que lui avait confié Joël. Et un soir, il eut une idée. Il avait entrevu, sur quatre portes différentes du château, des signes cabalistiques qui, sur le moment, n’avaient pas attiré son attention. Avec l’aide du livre, il les vérifia un par un et reconstitua une ligne qui se trouvait dans un autre chapitre du vieux document. La phrase ainsi restituée était traduite dans le livre et lui indiqua où se trouvait la fameuse porte. En pleine nuit, alors qu’il était seul au château, il se dirigea, torche et plan du château en mains, vers les escaliers en colimaçon qui menaient à la cave. Depuis le seuil des marches, il se mit à compter treize marches. Mu par son instinct de détective, il tapota d’abord les larges pierres du mur, puis le pilier et axe central qui tenait l’escalier. Au milieu du pilier, par une simple poussée des mains, Alain déplaça lentement de l’axe un cercle de pierre, constituant une sorte de large et épais plateau. Alain examina le dessus du cercle, puis le dessous et découvrit, incrusté dans la pierre, un louis d’or. Il appuya dessus et le miracle se produisit. Le mur, derrière lui s’ouvrit. La porte était là, son encadrement et la poignée étaient en or. Sa surprise fut si grande, qu’Alain lâcha des mains le plan du château. Il leva la lampe électrique et le faisceau fit étinceler toutes les dorures. Le visage radieux, heureux d’avoir résolu l’énigme proposée, Alain mit quelques secondes avant de poser sa main sur la poignée, pour ouvrir la porte merveilleuse.
Joël se rendit dans la chambre qu’il avait attribuée à Alain et ne le trouva point. En revenant sur ses pas vers le téléphone, il aperçut, par le bas de la porte qui menait à la cave, un rai de lumière. Curieux, il ouvrit la porte : la lampe de l’escalier était restée allumée. Tout en descendant quelques marches, il appela :
- Alain ? Alain, tu es là ?
Au milieu de l’escalier, Joël retrouva le plan du château. Coincé entre les marches et le mur compact, il le ramassa et se mit à réfléchir quelques instants. Il appuya sa main sur le mur et sourit.
Alain avait ouvert la porte. Il faisait sombre. Sa torche avait du mal à percer cette obscurité. Il avança prudemment. Il lui sembla se trouver dans un long couloir, taillé à même la roche suintant d’humidité. Les parois étaient brutes, des aspérités rocailleuses dépassaient comme des pointes acérées, pouvant couper à tout moment une peau fine. Alain continua d’avancer dans ce tuyau noir. Pas à pas, en respirant difficilement, s’appuyant contre ce mur hostile, Alain s’enfonça à la découverte du mystère de cette artère secrète.
- Vous l’avez donc recherché ? demanda Bernard Anouard.
- Oui, confirma Joël. J’ai laissé le combiné sur la table et me suis rendu dans la chambre d’ami. Alain n’était pas là, je l’ai cherché dans deux ou trois endroits où il aurait pu se trouver, sans aucun résultat. Je suis retourné près du téléphone et j’ai confié à Michèle que je ne l’avais pas trouvé.
- Et après ? relança Anouard.
- Ben, après je suis allé me coucher !
- Et c’est le lendemain, enfin aujourd’hui, que vous l’avez découvert ? demanda calmement Frémont.
- Oui ! affirma Joël. Enfin, c’est Martin, mon jardinier qui a découvert le corps dans une des allées du jardin.
- Et comment est-il arrivé dans cette allée ? interrogea Frémont.
- Et surtout dans l’état dans lequel nous l’avons trouvé ? rajouta Anouard.
- Je n’en sais strictement rien, messieurs ! répondit Joël, avec un sourire exaspéré sur les lèvres. J’espère que votre enquête apportera une solution à ce mystère.
Frémont et Anouard acquiescèrent d’un mouvement de tête résigné, ils se regardèrent et d’un commun accord décidèrent d’interrompre ce premier interrogatoire.
- Bien, nous allons tout faire pour résoudre cette affaire, déclara Frémont. Vous restez dans le secteur, on aura sûrement besoin de vous interroger à nouveau.
- Bien sûr, confirma Joël.
- Si de votre côté, vous vous souvenez de quoi que ce soit, n’hésitez pas à nous contacter.
- Evidemment, messieurs !
- Bien, monsieur Thenon, à bientôt !
Les deux inspecteurs saluèrent Thenon et quittèrent le cossu salon. Quelques minutes plus tard, Joël était tout seul. Il avait en main le plan du château, retrouvé sur les marches menant à la cave. A côté de ce plan, il y avait une feuille de papier; c’était la page manquante du livre. Il l’avait lui-même déchirée, avant de contacter Alain pour l’enquête. Le texte précisait :
" La première personne qui trouvera la porte sacrée et s’engouffrera dans le tunnel des ténèbres…"
Dans le couloir sombre, Alain avançait en tâtonnant le mur aux aspérités coupantes. Sur l’une d’entre elles, il s’entailla la main. Une goutte de sang tomba sur le sol et provoqua une sorte de réaction chimique qui fit trembler le passage. Une faible lumière blanche anima ce couloir sombre et fit apparaître sur les parois des têtes de morts érodées par l’humidité et le temps. Dans certaines cavités des crânes évidés, des rongeurs avaient élu domicile et regardaient curieusement l’intrus. Apeuré par cette vision macabre, Alain voulut faire demi-tour, mais la lumière blanche devint étincelante, éblouissante, ensorcelante. Alain ne savait plus comment s’en protéger. Des hurlements stridents s’associèrent à l’éclairage déstabilisant et l’effrayèrent encore plus. Le couloir sembla résonner de ces cris, de ces appels d’outre-tombe. Alain se sentit comme prisonnier dans une enceinte de chaîne HI-Fi dégageant plus de 1000 watts. C’était tout autant assourdissant, qu’éblouis-sant. Le fond du passage s’éclaircit de plus en plus, de noir il devint feu ardent. Une chaleur étouffante se dégagea de cet antre secret. Alain voulut encore courir pour retrouver la porte et sortir de ce lieu maudit. Mais, les flammes semblèrent le retenir, pire encore, l’aspirer vers ce tréfonds insondable. Alain tenta de se tenir à la paroi, mais les rongeurs s’occupèrent de ses mains et lui firent lâcher prise. Emporté par une aspiration chaude, Alain fut gobé par les flammes, entraîné vers un véritable enfer. Le monstre de feu le lécha, l’attira à lui, le trimballa de flammèches en flammèches, tritura son corps, le malaxa dans la fournaise et le recracha.
«… trouvera Satan et oubliera dames fortune et gloire. Le curieux téméraire périra par le feu de la pire mort…Mais, le second et dernier visiteur de l’antre sacré …»
Lors des premières heures du matin, le corps méconnaissable et meurtri d’Alain fut rejeté brutalement dans l’une des allées du jardin du château. Quelques heures plus tard, Martin le découvrit et en informa son patron.
«…aura droit aux largesses des dames bienfaitrices: gloire et fortune. Elles l’accompagneront à tout jamais…»
En relisant cet extrait sur la page déchirée, Joël sourit. Il porta le bout de feuille et le plan du château au niveau de son cœur et se mit à rire fortement. C’était là le rire d’un futur et machiavélique maître du monde.