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« Ils ont osé ! Venir chez moi sans m’en avertir ! »

 

J’entends leur voix derrière la porte, et je sais qu’il me faut me calmer avant de l’ouvrir, sinon je risque de tout fracasser dans un tourbillon de haine et d’injures.

Je me ressaisis mais mon instinct de mère ne peut se taire. C’est de mon droit le plus primitif que l’on me prive, dans mon amour de maman que l’on me blesse !

Ma parole d’enfant que l’on entend pas, que l’on n’a jamais entendu !

 

Pour l’instant c’est la rage qui m’habite, et je sais que si je réfléchis trop, elle va laisser la place à l’anéantissement, et de cela, je ne veux pas les en gratifier. Ce serait comme me résigner, abandonner le combat, une bataille que je mène depuis déjà tant d’années…

 

Je souffle un grand coup et tourne la poignet de la porte.

Ils sont dans le salon.

Je m’y dirige, calmement, maîtrisant du mieux que je le peux, mes mouvements. Je me veux nonchalante, mais mes gestes sont bien trop raides.

De toute façon, s’ils sont là, c’est qu’ils n’en ont rien à faire de moi et de mon désir de ne plus les voir. Ils s’en foutent que cela me fasse si mal d’être replongée sans cesse dans l’enfance qui fut la mienne. Une souffrance que je ne dois pas révéler, qui n’aurait jamais dû effleurer mes sens.

 

Ma fille s’avance vers moi. Je l’attrape dans mes bras et la serre fort contre mon cœur. J’ai peur, j’espère étouffer cette sensation insupportable dans cette étreinte.

 

« Je suis ta mère et je ne leur permettrai pas de te faire du mal comme ils ont pu m’en faire », pensé-je tout au fond de moi.

 

— Regarde ! Papy et mamy ont voulu me faire une surprise. Ils sont venus me voir.

 

Ma fille est ravie. Pourtant, avec ses yeux qui cherchent à comprendre, elle me demande :

 

— Toi aussi tu as voulu me faire la surprise ? Je croyais que tu ne voulais plus les voir ?

 

La dernière interrogation de ma fille me met mal-à-l’aise, me rend fautive. Elle ne fait qu’exprimer la vérité, celle qu’ils ne veulent pas accepter.

 

Ma fille n’a que six ans, mais elle commence à intégrer que ses grands-parents ne sont pas parfaits, que les mots qu’ils m’ont dit autrefois ont entaché leur apparente gentillesse.

 

Pour qu’on ne me reproche rien, c’est moi qui vais vers eux et les salue.

 

Le regard de ma mère est froid. Elle attend que je hurle puisqu‘elle est certaine que je ne peux réagir autrement.

Mon père, lui, parait gêné. Mais il n’a pas plus d’excuses que sa femme : tous les deux à mettre dans le même sac !

 

— ça va, me demande-t-il.

 

— Oui, m’exclamé-je d’une voix qui sonne faux à mes oreilles.

 

Peut-être ne s’en sont-ils pas rendu compte. C’est monnaie courante de dire que ça va alors que ça ne va pas. Ne jamais montrer la moindre défaillance.

 

— Nous sommes venus voir notre petite fille, a besoin de justifier ma mère. Au cas où j’aurais pu penser qu’ils avaient atterri ici par hasard.

Nous sommes ses grands-parents et c’est notre droit de la voir.

 

—Je le sais parfaitement. Mais mon droit à moi de ne plus vous voir ? Vous en faites quoi ?

 

Mes mots n’ont pas pu être plus longtemps bâillonnés. Je n’ai pas tenu bien longtemps, ce qui m’enrage encore plus contre moi-même, mais j’en ai assez que mes désirs soient bafoués.

 

— Je sais pertinemment que vous avez le droit de voir votre petite fille, mais j’avais besoin de temps pour accepter certaines choses, expliqué-je, ce que je ne voulais pas faire mais je n’ai plus d’autres issues.

 

— Oh oui ! s’insurge ma mère, accepter qu’on t’a rendu malheureuse !

 

— Parfaitement ! rétorqué-je. Vous ne voulez certainement pas le reconnaître mais j’ai été malheureuse. Pourquoi est-ce que je souffre toujours ? Pourquoi tous ces cauchemars horribles ?

 

— C’est vrai, tu as été une enfant battue, se moque-t-elle délibérément de moi. Si c’est pas malheureux d’entendre ça, se plaint-elle.

 

Je lutte pour ne pas tomber dans son piège, celui de la culpabilité. Elle est très forte à ce jeu-là, mais ce qu’elle ignore, c’est qu’aujourd’hui je ne renie plus mes sentiments, je ne renierai plus la petite fille qui est en moi et qui pleure.

 

— Oui, je me considère comme une enfant maltraitée. N’est-ce pas de ça dont il s’agit quand on met de force la tête d’un enfant sous l’eau froide. Et ne dis pas que c’est parce que j’étais insupportable. J’étais une enfant comme les autres, je n’étais pas toujours sage.

 

— Tu me traitais de « salope » à trois ans et je ne devais rien te dire ? interroge ma mère outrée.

 

— Comme tous les gosses de mon âge, j’expérimentais mon nouveau vocabulaire appris à l’école, sur les adultes. Ça a bien marché !

 

Ma mère est atterrée par ma façon de dénigrer son éducation.

 

— Tu étais trop exigeante, tu n’étais jamais contente, surenchérit-elle.

 

— C’est toi maman qui me voyais ainsi. C’était ton problème, mais tu as préféré rejeter la faute sur moi.

 

— A six ans, je n’avais plus le droit de te faire des câlins.

 

— A cet âge, on veut devenir autonome et l’on oscille entre « je veux être grande » et «  j’ai veux rester petite ». Pour toi c’était un affront à ta supériorité. Alors tu m’as rejeté, me disant que ce n’était plus la peine de venir me demander quoi que ce soit.

 

— Tu sais très bien que j’ai dit ça sous le coup de la colère, explique-t-elle.

 

— Non justement ! A six ans, une parole est une parole.

 

— Je vois que tes psys ont fait du joli boulot avec toi. Ils ont dû t’en raconter de belles choses sur les parents, qu’ils sont tous de vieux cons.

 

— Détrompe-toi. La majorité des psys poussent les patients à se réconcilier avec leurs parents. Ce que je ne voulais pas. J’ai pu enfin m’en sortir le jour où j’ai compris tout ce que vous m’aviez fait subir et que vous me faisiez porter votre culpabilité parce que vous ne pouviez pas l’assumer. Cela vous aurait écorché les yeux d’avouer que vous aviez fait des erreurs.

 

— Je t’ai déjà dit qu’on en avait sûrement fait, tempère ma mère.

 

— Tu dis « sûrement » comme tu dirais « peut-être », et ça veut dire que tu n’en es pas convaincue ! Je n’attendais plus rien de vous, seulement une distance. Déjà, j’arrivais à vous parler gentiment au téléphone. Je ne pouvais pas davantage. Et vous m’agressez en venant ici.

 

— Nous avons le droit de venir voir notre petite fille.

 

— Oui ça je le sais. Mais ce sont les parents qui décident de ce qui est bien ou non pour leur enfant.

 

— Apparemment c’est pas ce que tu disais juste avant.

 

— Juste que moi je ne suis pas toi. Je fais des erreurs comme toutes les mamans, mais je les reconnais. Je me fais soigner aussi pour ne pas reproduire les traumatismes de mon enfance.

Je ne supporterai pas que ma fille traverse les mêmes épreuves que moi : des années de dépressions, des médocs qui font grossir et endorment, des psy qui défilent…

Ma fille mérite mieux que ça, tout comme je méritais mieux que ça. Et ne vous avisez pas à aller voir un avocat pour faire valoir vos droits de garde. Je saurai quoi dire pour expliquer pourquoi je ne voulais plus vous voir. Si vous, vous ne gardez qu’un ou deux souvenirs de vos gestes ou mots déplacés, j’en ai gardé beaucoup plus que vous en mémoire. J’aurai aussi le soutien de spécialistes qui me soignent et qui eux n’ont aucun doute quant à l’impact des traumatismes de mon enfance sur mon état actuel.

 

Mes parents, touchés par ma plaidoirie, restent bouche bée. Je sais que je ne fais que renforcer l’image de « mauvaise fille » qu’ils ont de moi, mais je sais que cette image-là ne correspond pas à ma vérité et c’est tout ce qui m’importe.

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