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"Pardon papa, je n'avais pas compris. Je n'avais rien compris. Comment aurais-je pu comprendre tes silences, alors qu'ils te muraient derrière une indifférence si violente?

 

Des années papa, que tu ne disais rien. Des années que tu restais cloîtré derrière cette porte qui semblait te protéger. Mais de qui papa ? De quoi? Tant d'années sans savoir, sans poser de questions. Sans demander comment j'allais. Tu le voyais, pourtant, que je dépérissais à vue d'oeil. Mais tu restais enfermé dans ton mutisme, m'offrant un sourire de circonstance, quelquefois, comme pour me remercier d'être là et d'accepter tes silences qui ressemblaient tant à des absences.

 

Tu n'imposais pas. Tu ne jugeais pas. Tu ne parlais pas. Tu vivais. Tu végétais plutôt... Plante inerte que tu ne prenais même plus la peine d'arroser, tant ta vie te semblait inutile.

 

Tu semblais errer dans un monde qui n'était pas le notre. Un ailleurs égaré quelque part au fond de ton regard et de tes souvenirs. Derrière cette porte que tu avais cadenassé. Personne n'avait la clé pour y entrer. Tu avais fermé à double tour, sans laisser la moindre bouche d'aération, la moindre fissure par lesquelles on aurait pu essayer d'y pénétrer. Tu n'avais plus rien d'un père, si ce n'est l'état civil. Les années passaient et tes silences restaient. La porte demeurait close. Eternellement, insidieusement, cruellement close.

 

Et puis, ce fameux matin. Il était 4h30. On venait de conduire maman à l'aéroport. Et alors là, tes larmes papa. Des larmes si longtemps enfouies au plus profond de toi qu'elles avaient du mal à couler. Soudain, comme un torrent qui se libère enfin, le déluge papa. Jamais encore je n'avais vu un homme pleurer autant. Toutes les portes derrière lesquelles tu te cachais explosaient soudain une à une. C'est là, sur le chemin du retour que tu parlas, que ton coeur s'épancha enfin. A moi, cette petite fille qui, maladroitement, te pris dans ses bras pour tenter d'apaiser un peu de ce chagrin qui t'envahissait soudain. Tu me parlas de ce fameux jour où ton existence bascula. Cet accident qui te fit prendre conscience que tu t'étais trompé de route. Que le chemin parcouru n'était pas celui désiré. Ce chemin tout au long duquel tout ce que tu avais entrepris jusqu'alors n'était que néant. Sauf mon frère et moi. De nous, tu étais fier. Mais tu ne le disais pas papa. Comment aurait-on pu savoir ?

 

Pendant si longtemps, j'ai lutté contre moi-même pour avoir droit à un peu de tendresse. Tant de fois j'ai cherché à me blottir dans tes bras, comme la petite fille qui restais vivante au fond de moi et qui avait tellement besoin de toi.

 

Une caresse dans les cheveux comme lorsque j'étais gosse. Un mot papa. Un geste. Je ne demandais rien d'autre.

 

Mais je ne savais pas...

 

Pourquoi as-tu choisi ce moment-là pour me parler? je ne le saurai probablement jamais. Mais ce jour-là, papa, je t'ai enfin retrouvé. J'ai retrouvé alors mon enfance et ce père authentique et émouvant qui avait guidé mes premiers pas.

 

Merci papa pour ce moment de faiblesse. Je pensais t'avoir perdu, alors que c'est toi qui t'étais perdu quelque part dans les méandres de ton esprit.

 

On s'est retrouvé papa, mais surtout, tu t'es retrouvé toi-même. Merci pour ce cadeau."

Tag(s) : #Textes des auteurs
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