Depuis trois jours, Irène entend comme un cri dans le mur. Au début, avec le bruit de la télévision, elle pensait à une course poursuite des petites souris. Mais cette nuit elle l’a bien entendu. Impossible que ce soit un animal. Ça se rapproche davantage d’un gémissement, d’un cri de douleur.
Cette nuit, elle est restée debout, comme hypnotisée par cet étrange bruit qu’elle n’arrivait pas à identifier. Par intermittence, il se faisait plus net, plus clair, plus aigu. Parfois, elle en avait la chair de poule.
Après trois heures d’éveil, elle commençait sérieusement à fatiguer. Son cerveau somnolait, ses paupières se laissaient tomber malgré elles. Le sifflement du vent épuisait ses tympans. C’est alors qu’elle pense à ses nouveaux voisins.
Ces personnes semblaient plutôt jeunes pour être déjà propriétaire d’une aussi grande maison. Ils sont aussi un peu mystérieux. Ils ne parlent pas beaucoup mais font beaucoup de remue ménage et ils se couchent relativement tard. Irène les entend souvent bricoler quelque chose vers les minuits, tous les jours, comme ce soir. Elle ne s’intéresse pas à ce qu’ils font jusqu’à cette nuit.
Avec l’actualité, elle ne s’étonne plus de rien.
4h25 : ses voisins dorment. Elle est toujours là, consciente de n’être plus que l’ombre d’elle-même. Elle devrait dormir mais elle entend encore ces chuchotements qui la dérangent. Ils sont moins forts que tout à l’heure mais ils sont encore là. Elle est curieuse et ne dormira qu’une fois le mystère résolu.
Une demie heure plus tard, ses sens sont en alerte maximum. Elle a, cette fois, entendu distinctement une voix ! Une voix humaine ! Une voix de femme ! Elle en tremble de peur. Elle commence à avoir froid. Elle passe son peignoir en laine. Elle a mal au ventre et touche d’une main rassurante sa peau tendue par la trente-deuxième semaine de grossesse. Elle pince alors sa joue fraîche pour s’assurer qu’elle ne rêve pas. Elle n’entend plus rien !
D’un pas incertain, Irène va jusqu’au mur de sa chambre. Elle s’agenouille et colle son oreille contre le papier peint.
Son mari dort d’un sommeil de juste. Rien ne le réveillera si ce n’est une urgence comme la course à la maternité.
Irène tourne en rond. Elle décide de se changer les idées et va faire un tour dans la chambre de son futur bébé. Presque tout est près. Il ne manque plus que le mobile musical. Le berceau, le fauteuil à bascule pour l’allaitement et les rideaux sur le thème de la magie, tout y est. La lumière douce de la lampe mural renvoi les ombres de toutes les peluches. Le silence règne dans cette pièce.
Irène s’imagine la petite fille qu’elle tiendra bientôt dans ses bras. Bientôt un petit être remplira de vie cette chambre encore vide de sourire.
Un petit coup de pied du fœtus rappelle la future mère à la réalité. Un petit grattement près de la fenêtre et un sentiment de peur renaît. Irène hésite à réveiller son mari.
Depuis qu’elle est attend un heureux événement, ses peurs les plus profondes refont surface. Son odorat s’est développé et sa sensibilité s’est accrue. Toutes ces hormones de femme enceinte la déstabilisent. Ce n’est pourtant pas la première fois mais rien n’y fait, jamais elle ne s’y fera.
Les frottements dans le mur reviennent de plus belle. L’esprit d’Irène est à son comble. Elle s’imagine qu’une jeune fille est emmurée, vivante, et qu’elle appelle au secours. Une image d’ongles grattant le ciment frappe la conscience de la jeune femme. Et si elle avait raison ? Et si une personne était vraiment en danger ? Et si ses voisins bizarres étaient des pédophiles ou des truands ? Tout est possible, se dit-elle, resserrant encore plus son peignoir.
Les chambres sont au deuxième étage, juste en dessous du toit. Tout est noir à l’horizon.
Irène retourne, à tâtons, dans sa chambre. Le fœtus donne un second coup de pieds, plus violent que le précédant. Elle s’assied sur le bord du lit, reprend son souffle et essaie de se tranquilliser. Elle doit se calmer, au moins pour sa fille. Le stress n’est pas bon pour le fœtus. Elle a déjà perdu deux autres enfants en fausse couche tardive, elle ne tient absolument pas à perdre celui-ci.
Même si elle arrive à se ressaisir, le sommeil ne veut toujours pas d’elle pour la nuit. Elle se relève et va se passer de l’eau froide sur son visage. Toujours dans l’obscurité la plus complète, elle ouvre la fenêtre de la salle de bain pour avoir un peu d’air frais. Elle connaît cette maison par cœur, il n’y a pas de quoi avoir peur. Elle tente, tant bien que mal, de se rassurer. Doucement elle y parvient, quand, soudain, un cri horrible transperce la nuit et la fait sursauter. Elle tomber à terre. Assise sur le linoléum, Irène observe la chose s’envoler.
Joe s’est réveillé d’un bond. Il cherche son épouse à côté de lui et ne la trouve pas. Il pressent une mauvaise nouvelle. Irène l’appelle. Il ne sait pas définir si c’est une voix prise de douleur ou de peur qui le supplie de venir au plus vite.
Un liquide s’écoule du peignoir rouge d’Irène. Tête baissée, elle sent cette flaque chaude sous ses fesses. Tout en aidant sa femme à se relever, Joe écoute avec attention l’histoire des drôles de voix, des chuchotements, des grattements qui ont amené Irène à restée éveillée toute la nuit. Il n’arrive que péniblement à l’apaiser. Elle est sous le choc.
Quelques secondes plus tard, après s’être assuré que ce n’était que de l’urine qui s’était échappé du corps de sa femme, Joe éclate de rire. Irène se décrispe et rigole à son tour, plus par nervosité que par spontanéité.
L’idée même qu’un couple d’Effraies nichait là lui était complètement sortie de la tête.