Il avait rencontré Ariane et il ne pouvait l’oublier ! Elle était la beauté, la bonté incarnée, la grâce en ce monde. Jamais plus une femme ne saurait l’émouvoir, Ariane était unique, Ariane était fille de roi ! Ariane avait tout pris mais en retour lui avait tout donné !
Aujourd’hui notre guerrier amoureux, jouait son destin, il lui fallait franchir le seuil de cette porte infernale qui oscillait sous les rageuses ruades du monstre ! Derrière ce portail aux multiples serrures, aux chaînes et verrous forgés dans l’acier le plus pur, les métaux les plus durs, une créature de l’enfer était enfermée, il devait la combattre et la vaincre !
Au long des jours, à chaque instant de chaque nuit, la porte tanguait, sous les coups de boutoir de la créature qui réclamait son lot de chair fraîche : 7 jeunes hommes et 7 jeunes filles tous les 9 ans !
Nous étions au dernier jour de la huitième année. Le grand sacrifice était pour demain !
Le monstre ne semblait jamais dormir, jamais s’apaiser… A toute heure il se lamentait. Il savait passer par tous les niveaux de la souffrance, du désespoir ou de la rage. Il pouvait à sa guise, en modulant ses cris, vous émouvoir ou vous horripiler ! Il savait sangloter, supplier, geindre, gémir, hurler sa haine et son malheur. Ses plaintes et ses sanglots vous déchiraient le cœur, vous agaçaient les sens. Il vous contait sa tragédie, s’ouvrait le cœur à vif, vous compreniez sa douleur mais vous le condamniez pourtant ! Derrière la porte il était, derrière la porte il restait !
La légende se résumait à peu : Une femme avait aimé un taureau blanc ! Pasiphaé s’était donnée à une bête et Astérios le Minotaure, était né de leur union maudite. Le fruit était donc condamné, il fallait l’abattre, détruire la preuve de l’obscène copulation pour que vienne l’oubli avant le pardon des Dieux et des hommes.
Un mari ! Un roi de crête ! Cocufié par une bête à cornes ! Où allaient la mythologie gréco-romaine et l’histoire des civilisations si les légendes dérapaient et la zoophilie s’en mêlait ? Il avait fallu dépêcher d’urgence le seul héro de service, disponible à cette période de l’histoire : Thésée, fils du roi d’Athènes fit l’affaire ! Ainsi allaient des légendes et de notre quotidien, les héros n’étaient souvent glorieux que parce qu’il n’avaient rien d’autre à faire le jour de la bataille !
Les grognements s’accompagnaient de coups violents, de secousses forcenées, d’ébranlements et de charges diverses. La porte allait bientôt céder et notre héro compatissant dû se résoudre à intervenir ! Il lui fallait franchir le seuil de l’enfer et découvrir ce que dissimulait ce passage ! La créature, pour lors, n’avait qu’un nom, Thésée allait à cet instant découvrir son visage !
Notre héro connaissait les lieux : Ariane lui avait remis les plans de l’architecte fou : derrière la porte courraient un Dédale de couloirs, d’escaliers, de passages secrets, de sous-sols interdits, de labyrinthes obscurs, un embrouillement de caches et de caves dissimulées là où personne ne pouvait les soupçonner !
Ariane l’aimait, Ariane l’aidait. En contrepartie, il lui avait promis de tuer « la bête » !
La porte céda enfin. Thésée posa à terre la bobine de fil rouge que lui avait remis sa bien-aimée. Il s’engouffra à vive allure dans un labyrinthe de couloirs, déroulant tout au long de sa progression le fuseau providentiel !
Astérios s’était dissimulé dans la plus inaccessible de ses caches, là où l’esprit et le corps d’un humain n’avaient jamais eu accès ! Les forcenés, les inconscients, les suicidaires qui s’étaient risqués à y pénétrer n’avaient jamais trouvé le chemin de la sortie ! Des milliers d’ossements jalonnaient leur parcours téméraire, ce morbide tapis de sol, blanc et friable, traçait le chemin de notre héro. Il s’y engagea d’un pas ferme, l’arme à gauche, le fil d’Ariane à la main droite !
Surpris dans son intouchable repaire, Astérios baissa la garde et les banderilles de Thésée frappèrent mille fois, terrassant le monstre à l’haleine de feu dès les premiers coups ! Le Minotaure, fils maudit de Pasiphaé et du novillo, demi-frère monstrueux d’Ariane n’était plus de ce monde !
Le chemin du retour fut aisé et glorieux, le fil rouge guida les pas de Thésée vers la sortie du labyrinthe, vers la lumière, vers la main de la belle Ariane qu’il allait demander à Minos, son père, roi tout puissant de la Crète !