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Adèle sortit précipitamment de la maison. Elle sentait le nœud se former dans sa gorge, comme après chaque dispute avec son père. Une fois de plus la conversation avait tourné au vinaigre quand ils avaient abordé le sujet douloureux qui les séparait : les fleurs. Son père ne voulait pas comprendre sa passion pour leur beauté éphémère. Pomiculteur de métier, il aimait cultiver le fruit, produire l’utilité, pas la futilité. Souvent il lui répétait d’un air lugubre que les fleurs étaient faites pour finir dans un vase, puis au fond d’une poubelle et qu’elle perdait son temps à les gribouiller sur des carnets à longueur de journées… Pourquoi rechignait-elle devant la noblesse des pommes et des poires, qui avaient le mérite, non des moindres, de nourrir et désaltérer l’honnête homme ? Depuis quelques temps, la situation ne s’annonçait pas sous les meilleurs augures.Le vieil homme s’était laissé envahir par la colère et l’amertume, de voir sa fille s’adonner à des rêveries aussi improductives qu’inutiles. De son côté, la jeune femme était lasse de justifier chaque minute consacrée à son amour floral et de répondre à ses reproches incessants. Les rancoeurs qui les séparaient agissaient tel un  tourniquet sur leurs sentiments, les entraînant fatalement dans un tourbillon de frustrations et les laissant toujours plus proches du vertige, le cœur au bord des lèvres et les larmes au bord des yeux…
Adèle trouvait toujours refuge dans son atelier. Même si ce n’était qu’une vielle cabane de bois isolée au beau milieu des vergers, il serait toujours pour elle le plus bel endroit de la planète. C’était son univers, son coin de jardin secret. Il caractérisait à lui seul tout ce qu’elle était et contenait chacun de ses secrets…
Elle l’avait aménagé à sa façon, construisant des étagères qui lui permettaient un rangement méthodique des plantes et des herbes les plus diverses. Des bacs d’acier, d’immenses casseroles et des cuillères de bois traînaient ça et là.Ce matériel permettait à Adèle, d’offrir aux végétaux récoltés lors de ses cueillettes, la plus invraisemblable des reconversions. Grâce à une technique de cuisson et de macération, découverte dans un livre pour herboristes expérimentés, elle avait réussi à concocter les encres les plus fabuleuses qui soient. Il lui suffisait simplement de doser minutieusement les ingrédients pour obtenir les différentes gammes de couleurs qu’elle désirait. Elle s’en servait ensuite pour retranscrire à travers ses croquis la beauté enchanteresse des fleurs qu’elle peignait.
Adèle ferma les yeux se laissant bercer par le parfum doucereux des plantes et des fleurs séchées. Leur magie olfactive la détendit et elle laissa son esprit vagabonder dans des champs de fleurs sauvages aux couleurs vives et aux formes improbables... Les violettes s’envolaient tels de petits papiers de bonbons d’un mauve intense, que des enfants auraient laissé s’échapper. Les coquelicots dansaient dans le vent, petits disques écarlates oscillant sur de fines tubulures. Les tournesols se dressaient droit comme des i souriant à leur ami scintillant dans le bleu du ciel, le priant de se montrer miséricordieux et de rester encore un peu. Soudain un souffle à peine perceptible anima chacune d’entre elle en une danse rythmée et sensuelle.Adèle assista au déhanchement suggestif de leurs courbes au grès d’un vent doux et tiède. Elle sourit… Zéphyr, prince des vents, venait de s’inviter dans sa rêverie. Il confirma sa présence par un léger flux d’air qui vint caresser ses cheveux défaits. Puis une douce cascade de chatouilles  parcourut son dos. Elle frémit sous les mains de son amant qu’elle venait de retrouver. Si son atelier contenait bien des secrets, celui ci resterait à jamais le plus inavoué …

Tag(s) : #Textes des auteurs
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