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D’un air doucereux, le pomiculteur s’approcha de ses arbres. Mais un preste et ailé zéphyr les avait prévenus de cette dérangeante venue. L’odeur, en effet, précédait toujours ce bonhomme qui était ainsi un inavoué alcoolique, drogué uniquement au cidre bouchonné et frelaté.

Le ciel avait beau être bleu, un air de danger semblait peser sur le paysage, avec un horizon bouché comme une planète proche de l’implosion.

Les arbres étaient inquiets, figés, se demandant ce que la main de l’homme, qui n’était plus verte, allait encore leur faire subir. Ce ne serait certainement pas des chatouilles.

Au risque de voir jeter l’anathème sur le groupe entier, le premier arbre, le plus ancien remua du plus fort qu’il pouvait ses branches, espérant ainsi blesser le ventripotent propriétaire.

Etant donné qu’il ne savait pas doser ses verres de gnôle ni ajuster ses lorgnons, le pomiculteur voyait l’arbre en double.

La Raymonde, pour de rire, avait encore dû lui verser du vinaigre dans son bol, ce matin…

Il se frotta tout de même les yeux, ne les croyant pas. Un improbable combat était pourtant en train de se mettre en place dans ce verger.

Les arbres, en rang d’oignons, se tenaient face à lui, leurs branches chargées de fruits appétissants tournoyant dans les airs comme un disque. Le vent s’engouffrant dans les branches faisait siffler au verger une mélodie cinglante, ressemblant fort au crissement d’un tourniquet non huilé.

Quelle charade était encore allée lui inventer sa Raymonde… Car, pour sûr, ce ne pouvait être qu’un mauvais tour de cochon qu’on lui jouait là. On n’a jamais entendu parler d’attaques d’arbres. Mais…Serait-ce parce que les attaques auraient été fatales à chaque fois… ?

Courant alors de toutes ses jambes, soit celle de bois et celle de chair, Fernand le pomiculteur, un nœud au travers de la gorge,  le visage couleur d’encre lavée, passée, décida d’entamer sa reconversion.

Haletant, il arriva à la maison, s’épousseta sommairement et vit son épouse gribouiller sur la table de la cuisine une liste de courses pour la semaine. Immédiatement, il lui reprit des mains le papier, empoigna le crayon, et biffa les « douze litres » de tord-boyaux prévus. Ceci, sous les yeux égarés de madame.

Il s’appuya ensuite contre la tubulure de l’alambic, se retourna, regarda cet engin de mort, et, miséricordieux en puissance, décida d’éclater au burin cette fine verrerie qui le fit tourner dingue durant de longues années.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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