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— Zéphyr, au pied !

 

Cet ordre remonte à ma mémoire comme une rengaine que j’aurai encore entendu il y a peu.

 

Mon grand-père invectivait ainsi son chien, un labrador chocolat, très affectueux, - trop peut-être -, pour l’empêcher de se jeter sur le facteur afin de quémander une caresse. Malheureusement pour Monsieur Pondis qui avait peur de ces animaux, et qui du coup regrettait amèrement sa reconversion à la poste !

Il aurait préféré poursuivre sa carrière à tripatouiller la tubulure des moteurs, à trifouiller ses mains dans le cambouis, mais le garage, faute de clientèle à cause de la concurrence, avait fermé ses portes.

 

Je le trouvais gentil le facteur, quoique bien peureux. Il n’y avait pas de bête plus docile que Zéphyr.

Tous les matins j’attendais le passage de Monsieur Pondis, en attente d’une lettre de maman. Elle me manquait même si j’attendais impatiemment la fin de l’année scolaire pour venir jouir de la campagne et des mes grands-parents.

 

A leur contact j’apprenais des tas de choses. Si mes petits camarades de classe pensaient que les fruits étaient fabriqués par des machines, ils n’avaient plus aucun secret pour moi, contemplant chaque été leur croissance.

Effectivement, mon grand-père était « pomiculteur ». Enfin, c’est ainsi que je le dénommais, une invention venue tout droit de mon imagination.

Il n’avait pas son pareil pour s’occuper de ses pommiers et obtenir les fruits les plus délicieux.

Quand je croquais leur chair ferme, ils étaient doucereux, encore verts. Ils avaient malgré tout plus de goût que ceux achetés au supermarché.

 

J’accompagnais mon aïeul dans son soin quotidien : Tailler les arbres, procéder à la nouaison, vérifier qu’aucune jeune pomme n’avait la maladie. Pour éviter cela, il les médécinait. Il confectionnait une mixture obtenue par le mélange de différents liquides qu’il fallait méticuleusement doser, dont le plus courant et le plus nauséabond, le vinaigre. Ce n’était que des produits naturels, car mon grand-père pensait à préserver sa planète. Il en arrosait les arbres, et il était tout à fait improbable que des insectes, tels les charançons, vinssent détruire les premières pousses.

L’opération devait être répétée tous les quinze jours, et pour ne pas l’oublier, le vieil homme gribouillait la date sur un morceau de carton, qu’il accrochait, grâce à une ficelle, à une des branches. C’est moi qui effectuais le nœud.

 

Ma grand-mère, quant à elle, était presque toujours dans sa cuisine, à faire la popote, à coudre, ou à lire ses magazines, profitant de la clarté de la pièce dans laquelle la lumière pénétrait le mieux. Elle appréciait sa solitude et le silence.

Lorsqu’elle me donnait un baiser, les poils de son menton provoquaient des chatouilles sur la fine peau de ma joue. Je me retenais de rire pour ne pas me faire gronder. Je l’aimais, mais d’une manière différente de mon grand-père. Parce que lui avait toujours quelque chose à me montrer, une confidence à me faire…

 

Lorsqu’il pleuvait, nous nous installions tous les trois au salon. Ma grand-mère sortait l’électrophone et mettait de la musique. Son disque favori était «  Le tourbillon de la vie», la bande originale du film « Jules et Jim », interprétéé par Jeanne Moreau…

 

 

Alors tous deux on est repartis

Dans le tourbillon de la vie

On à continué à tourner

Tous les deux enlacés

Tous les deux enlacés.

 

 

 

Moi je disais : «  Le tourniquet de la vie », ce qui était miséricordieux au dire de ma grand-mère, qui estimait futile que je changeasse les paroles de cette chanson.

Pourtant, c’était bien plus joli et rigolo : tourniquet !

 

Pendant ce temps là, mon grand-père répondait à son courrier et payait les factures.

Il m’aidait également à envoyer une lettre à maman, et j’avais le droit de repasser les cursives préalablement tracées au crayon à papier, avec son stylo à encre bleue.

C’était un honneur qui  me conférait une place de grande.

 

Parfois, il chipait les revues de sa femme pour faire les charades qui se trouvaient en fin de pages.

Je m’en souviens d’une en particulier. Elle était ainsi formulée :

 

 

« Mon premier est un animal têtu,

Mon second est la première lettre de l’alphabet,

Mon troisième est une boisson,

Mon quatrième est le cri d’une vache,

Mon tout est une réprobation. »

 

 

La réponse était : âne- a – thé- meuh……Anathème !

Sur le coup, je n’ai pas bien compris la définition de ce terme, mais on s’était bien amusé avec papy ce jour là.

 

Ce que je partageais avec mes grands-parents est toujours resté comme un bonheur inavoué, les mots ne me paraissant pas à la hauteur de mon ressenti. Mon désir aussi de ne pas évoquer des souvenirs qui me rappellent sans cesse que mon grand-père et ma grand-mère ne sont plus.

 

Aujourd’hui que les sentiments en mon cœur ont pu être revécu, que la douleur a pu  être dépassée, et de ce fait remplacée par la joie, la douceur, la nostalgie, je peux les partager.

Me remémorer ces jours heureux m’a permis de renouer avec l’enfance qui fut la mienne.

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