Alors, le voilà ce fameux musée. Il n'y a pas à dire, c'est grand. Et ces verrières, la classe ! Une bonne idée finalement, de l'avoir reconvertie en musée. Allez, j'entre. Le guichet ; "Bonjour m'dame…" ; le billet ; jusque là rien a changé. La fouille corporelle ; ah, là ça change… on se croirait plutôt dans un aéroport. Et bien, voilà qu'il me fait des chatouilles… Qu'est ce qu'il me veut celui là ! "Hey, je suis pas bien prêt pour une reconversion p'tit gars !...". Oups, je suis peut-être allé un peu loin là. Vite, que je passe le tourniquet. Ils sont un peu stressés avec leur Vigipirate, ça risque bien de tourner au vinaigre.
Allons y, où est-il, mon tableau ? Je ne vais tout de même pas m'abaisser à consulter leurs plans indéchiffrables. Ou encore mieux, à écouter leurs disques débiles qui passent en boucle, avec cette voix doucereuse qui ne vous explique que dalle. Je n'ai pas besoin de ça moi. J'avance.
Décidément, il va bien ce bâtiment. Ces vielles structures en pierres de taille et acier riveté, ça a quand même plus de gueule que ces taudis post-modernes avec leurs pauvres tubulures dans tous les sens. Qu'on me l'accorde. Pompidou au placard !Risque pas de me voir là-bas !
Bon, où suis-je là ? Les Réalistes, ça devrait être là-bas... Et ça, c'est quoi ? Arf, des natures mortes… quelle idée ridicule ; tableaux de pomiculteur méridional ! Quand on est un pacoulin et qu'on ne sait pas dessiner ; on ne se mêle pas de peinture. Ou alors de peinture en bâtiment, enfin de peinture en grange, non franchement ! Et à après on s'étonne de voir surgir ces courants contemporains hideux. Qu'espèrent-ils représenter avec leurs ronds et leurs carrés. S'ils veulent jouer aux rébus ou aux charades, ils n'ont qu'à allez voir les hiéroglyphes du Louvres. Un tableau, c'est un tableau quoi, ça doit représenter quelque chose, et quelque chose qui a de l'intérêt. Des pommes… et pourquoi pas des clous !
Humm, je sens que je me rapproche, voilà de la vraie peinture, des vraies formes… Là, la voila, elle est là. Ahh qu'elle est bonne ! Mais qu'est-ce qui me prend… quel beau tableau je veux dire ! Je me laisse aller là. Mais c'est si bien peint. Quel délice, quelle beauté. Cette peau presque transparente, qui laisse même apparaître le bleu de ses veines. Cette tonsure si vraie, si précise, si parfaite. Si loin de ce qu'un de ces impressionnistes minables aurait gribouillé. Elle n'est pas tellement sombre d'ailleurs. Les couleurs sont si justement dosées. On imagine presque qu'elle devait être rousse.
Oui… rousse, je me souviens de l'odeur enivrante de sa coiffe, de ses humeurs si subtiles…
Hein, quoi ? Qu'est-ce que je raconte là ? Mais c'est vrai qu'elle me fait penser à quelqu'un. A quelqu'une plutôt ; que j'ai bien connue. Comment s'appelait-elle… Jo ? Qui donc était cette Jo ? Joëlle ? Josée ? ... Rhaa, ça ne me revient pas. Mais j'ai déjà vécu cette scène. Ou alors était-ce un rêve. Non, c'est sûr que non. Je connais cette femme. Je ne supporte pas ces trous de mémoire. Surtout à propos d'une femme aussi belle ; je vais finir guichetier de musée si ça continue. Enfin… si ça me permet de la voir tous les jours… Joanna, c'est ça. Mais, je ne connais pas de Joanna ! Pourtant je suis sûr de la connaître, Joanna… Oui… Joanna, Ma Joanna, si douce, si chaude. Je me souviens de ton corps nu, de notre amour inavoué, de nos ébats cachés dans mon atelier.
Ouh, là. Qu'est-ce qui m'arrive. Il faut qu'j'arrête la picole là. Quel atelier ? Quelle Joanna ? Quel corps nu ? Bordel, je n'ai jamais vécu ça et pourtant je m'en souviens… Oui… je me souvient de toi Jo. Comme sur notre tableau, comme si c'était hier... Je me souviens de tes lèvres rougies par l'amour. De ta poitrine dressée, trahissant ta jouissance aussi forte que la mienne. De ta toison encore humide par nos transports. Je ne vois plus ton visage, mais j'ai tellement fermé les yeux, entre deux coups de pinceaux. Finalement, je connais mieux ton corps par mes mains à te caresser, que par mes yeux à te scruter. Tes formes rondes et douces sont inscrites dans mes muscles plus que dans ma rétine. Je me souviens du zéphyr affolant qui balayait mon esprit et me donnait la force de créer, de te créer. Je te survolais, je te balayais de mes brosses, et je plongeais en toi comme le vent dans un gouffre, comme la vague dans un récif… mon Ile, ma Terre, ma Planète, mon Soleil…
Mais… qu'est ce qu'il me prend ! A qui sont ces souvenirs. Je n'ai jamais connu cette Joanna, je n'ai jamais peint, je n'ai jamais rien créé... Ou si peut-être… sûrement, mais bien avant. Oui… c'était avant. C'est vrai. Je t'ai créée, ma Joanna. Tu n'étais rien, puis tu es devenue mienne ; et tu es devenue immortelle. Je t'ai aimé et je t'ai créée telle que tu es restée après tant d'années. Ma Muse, mon Bien, mon Anathème.
Joanna, je te désire tout autant. Je t'avais perdu et te revoir était plus qu'improbable.
Mais te revoilà. Aussi belle, aussi pure. Laisse-moi te prendre de nouveau, une dernière fois, me plonger dans tes chairs tendres. Oh oui, charmante enfant, garde cette posture si accueillante. Laisse moi te sentir, te toucher, caresser ces seins que tu m'offres, user ta peau diaphane. Laisse-moi t'embrasser, me repaître de ton suc.
Laisse-moi te pénétrer, me mêler à toi, jouir dans ton corps… J'arrive ! Comme avant, me revoilà, me voilà !… ahhhhhaaaahhhh!!!!!!
AHHAHHHHHHAAAA !!!! Dieu miséricordieux ! Que m'arrive-t-il ? Ce n'est pas moi… ce n'est plus moi… Je suis possédé…"A L'AIDE !... Mais… Aïe, lâchez-moi bordel, que me voulez-vous, Aidez-moi plutôt à me relever. Que s'est-t-il passé ?
- Regardez-moi cette tête de nœud ! A baver pendant une heure sur ce tableau, il s'est pissé dessus !
- Attends voir, il ne s'est pas pissé dessus, c'est du foutre ! Ce gros porc se paluchait devant tout le monde ! Oh ! Gros malade, y'a des enfants ici !
- Dis mamie, qu'est ce qu'il faisait le monsieur et c'est quoi ces taches qu'il a sur la chemise et le pantalon ?
- Et bien, euh… Vois-tu… Il dessinait… Voilà. Il dessinait avec un beau stylo plume. Comme celui que papi t'a offert pour ta communion. Et sur ses vêtements, ce sont des tâches d'encre !