J´avançais en flânant, doucement, le long de la rivière. J´étais bien sûr a nouveau perdue dans cette luxuriante nature, mais je ne l´avouais pas à mes compagnons de route ! Il est hors de question d´entendre encore une fois leurs récriminations, « tu ne sais pas lire une carte », « tu ne sais pas te servir d´une boussole », « tu ne sais pas te repérer par rapport aux crottes de cerf », et j´en passe ! Et alors ? Oui, j´avoue. Mais je sais que je suis déjà passée par là, et ça, on ne peut me l´enlever. Et que finalement nous ne sommes pas perdus. Mais comme je crois que cela s´était déroulé pendant un rêve, je ne sais comment l´expliquer. Pourquoi cette impression d´être déjà venue me promener ici ? Pourquoi l´idée fixe que nous allons nous trouver devant une formidable et grande maison dans peu de temps. Que nous serons alors arrivés.
Autant de questions que je rumine, que je roule entre mes neurones, depuis quelques instants. Les fleurs de la berge semblent me saluer, ou du moins, me regarder. Le vent les chatouille avec douceur en les soulevant grâce à son élégante force. Quel réveil onctueux ! Et mes amis qui me tirent de ma rêverie avec violence... Je ne sais trouver les mots pour leur expliquer cette situation pourtant inexplicable : oui, je suis déjà venue ici, oui, en rêve, régulièrement, et je suis maîtresse de la maison qui ne va pas tarder à se dresser devant nous. Voilà, c´est dit ! Un silence absolu nous engloutit en à peine une seconde. Nous risquons de ne pas en sortir indemnes, étant donné la façon dont nous nous regardons tour à tour, avec des yeux qui commencent à refléter la folie. Je sens que je suis tout de même le centre d´attention, même si personne n´ose me dévisager tout à fait. Héloïse me demande pourquoi nous devrions croire nos rêves. Et me voici en train de lui répondre que lorsque ceux-ci deviennent récurrents, ils se transforment en affirmation de notre avenir. Mon cerveau me demande instamment de ne pas aller trop loin, car sinon nous risquons, lui et moi, la séparation immédiate. Il veut bien fournir un peu d´eau à mon moulin imaginatif, mais de là à trouver des raisons parfaitement terre-à-terre à mes égarements nocturnes...
Et puis, m´assène-t-il, il ne faudrait pas accepter que cela devienne une obsession... Une partie de moi se rebelle...mais contre moi ! Comment donc soutenir le feu roulant de questions qui m´est imposé par mes camarades de balade ? Balade, d´ailleurs qui tourne à l´aigre. Je leur propose de continuer cependant à avancer, car la nuit risquerait de nous happer dans ses dédales inquiétants. Au moins, avec cette proposition, je rencontre un assentiment total.
Nous reprenons notre marche, moi tête baissée, et les autres les yeux louchant vers moi. Hector trébuche sur la moindre brindille, mais doit certainement croire qu´en me regardant il va effacer cette idiotie que j´ai lancée il y a un instant. Si seulement, mon cher !
Tandis que nous avançons de plus en plus vite, sans doute pressés les uns comme les autres de quitter cette partie de la Terre que j´ai bannie avec une poignée de mots, les pierres et les mottes de terre qui constituent le chemin glaiseux se révèlent m'être tout à fait familières.
Soudainement, une idée se fait jour en moi et je chemine les yeux fermés pour vérifier. Je connais par coeur les nids de poule, les amas de cailloux et autres crocs-en-jambe que pourrait me réserver cette contrée. Mes impressions semblent être justes pour le moment.
A présent, j´attends fébrilement de voir cette spacieuse demeure qui illumine le champ et la petite falaise au pied baigné par les larmes de l´océan.
Mon souffle devient haletant au fur et à mesure que mes pieds progressent sur ce sentier détrempé.
Hyacinthe pousse un cri. J´ouvre les yeux. Ma voix est partie avec celle d´Hyacinthe je suppose, car je n´émets plus aucun son. Je voudrais m´excuser, m´enfuir, effacer cette journée.
Hubert et Hélène ont ouvert des bouches grandes comme des ports et leurs yeux écrasent les cils, exorbités. Hector tombe de stupeur et s´affaisse le long d´un arbre, celui que j´avais décrit il y a peu. Il a dû s´en rendre compte, car il se relève promptement et se cache derrière Héloïse. Ils sont en file indienne, face à moi, qui suis face à ma maison.
Sans explication, je les laisse et avance vers cette antique bâtisse qui a visité mes nuits tant de fois.
A mon tour de te visiter, de te découvrir.