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Usé, brisé, courbaturé et frustré, je gisais béant au fond d’une poubelle. Mon dernier propriétaire m’y avait jeté sans remord après qu’une forte bourrasque de vent m’eut sérieusement endommagé. Embarrassé par un parapluie devenu inutile, il avait décidé qu’il était temps pour nous de se séparer. Oh, je n’avais pas de regrets. Bien au contraire ! Il avait les mains rudes et le geste brusque. De plus je ne lui appartenais pas vraiment : il s’était approprié mes services, le jour où Eloïse m’avait oublié, en sortant du bus. Il m’avait empoigné de ses grosses mains, puis enfermé dans un sac, sans même me demander mon avis…C’était à la limite du kidnapping ! Mais que voulez vous, certains humains se moquent éperdument de ce que peuvent ressentir les objets…

 

Le changement de vie fut total. Le rêve éveillé que je vivais avec Eloïse, fit place à une vie terne et monotone. J’étais heureux entre les mains de ma chère amie qui me serraient si tendrement… Notre complicité était sans limite. J’étais son compagnon de route, son fidèle protecteur et ce rôle me convenait à merveille. Elle m’emmenait toujours avec elle et nous partions pour de longues promenades sous la pluie. Je levais fièrement la tête pour faire face aux gouttes des fines ondées comme  des grosses averses, leur faisant barrage pour défendre ma douce…

Monsieur, lui,  craignait la pluie. Il se plaignait de ses pantalons trempés  et de ses chaussures boueuses. Les sorties étaient donc rares et le reste du temps j’attendais au fond d’un placard à chaussures. Je ne me plains pas ! Ce sont de bien sympathiques compagnes mais certains inconvénients se firent bien vite sentir. Pour tenir bon je repensais non sans nostalgie au parfum fruité d’Eloïse, qui se mêlait délicatement aux odeurs d’humidité et d’herbe mouillée.

 

Douceur puis amertume, ainsi fut ma vie. Enfin…avant d’atterrir dans une poubelle !

Je m’étais alors résigné et attendais la mort parmi les détritus les plus divers. Contact visqueux, odeurs nauséabondes… Quelle ironie… Oui vraiment, quelle drôle de fin pour un parapluie de mon standing …

 

La vie dans une poubelle s’avéra pourtant, beaucoup plus animée que je ne le pensais.Très vite je m’aperçus de la présence d’objets, également lâchement abandonnés par leur propriétaire. Inutiles et désespérés, ils faisaient face à leur triste sort. Il y avait une brosse à dent au poil rugueux, un verre ébréché, un tapis décoloré et une chemise blanche trouée. Compagnons d’infortune, nous fîmes rapidement connaissance. Mais les conversations restaient limitées, chacun étant en proie à de terribles souffrances…

 

_ Quel scandale ! Savez vous que je suis en cristal ! clamait le verre.

 

_  Vous ne pouvez pas me laisser ici… je vais tacher mon joli tissu de soie…répétait inlassablement la chemise blanche entre deux sanglots.

 

_ Me faire cela à moi qui le servait matin et soir, soupirait la brosse à dent.

 

Le tapis gardait le silence ruminant ses sombres pensées. Pour ma part, une question me torturait l’esprit : « Comment Eloïse, avait-elle pu m’oublier dans ce bus ? »

 

Nos lamentations étaient bien souvent interrompues par des perturbateurs dont les manières laissaient grandement à désirer. Chiens et chats nous retournaient en tous sens, en quête d’un trésor culinaire. Repartant bredouilles, ils se dirigeaient alors vers les consoeurs de notre hôtesse d’un jour, nous laissant tout étourdis et désorientés.

Pourtant un étrange visiteur fit bientôt son apparition. Deux mains fermes à l’odeur désagréable de caoutchouc s’emparèrent, de mes amis et moi, pour nous mettre dans un sac plastique. Etonnés, nous ne savions comment réagir.Nous hésitions entre le soulagement de quitter enfin ce monde peu ragoûtant et la peur de l’inconnu. Le sac plastique se voulait rassurant mais restait énigmatique en nous disant : « Ne soyez pas inquiets. C’est une seconde vie qui s’offre à vous ».

Une seconde vie ? Je savais que les chats avaient neufs vies, mais était ce possible, que les objets en aient deux ?

 

Saisi par les mains caoutchouteuses, je quittais le sac, et me retrouvais dans une petite pièce baignée de lumière. Des mains, fines, aux gestes surs, me plongèrent dans un bain où m’attendaient mes nouveaux amis. Contact chaud et onctueux, bulles de savon…rien à voir avec la poubelle qui nous avait accueillis, quelques minutes plus tôt. Si mes amis étaient optimistes pour l’avenir, j’attendais un peu pour me réjouir.

Contrairement à eux, j’étais un objet de seconde main. Ayant déjà connu bien des déceptions,  je préférais me montrer prudent…

 

Après le bain, nous fûmes séparés et entreposés dans des coins différents de la pièce. Posé sur une table de bois verni, les mains expertes de ma nouvelle propriétaire commencèrent à me déshabiller, enlevant lentement la toile noire qui me couvrait depuis toujours. Je me retrouvais nu et gêné. Je n’avais pas connu une telle tenue depuis ma fabrication. C’est alors qu’elle entreprit un exercice périlleux : la réparation de ma baleine cassée. Ce fut un peu douloureux, mais je dus reconnaître qu’elle était plutôt douée. Elle ne devait pas en être à son premier parapluie !

 

Après cela la dame aux mains expertes me laissa récupérer pendant quelques jours dans une armoire. Je l’entendais marcher et s’affairer dans la pièce. L’armoire m’expliqua que c’était en fait un atelier de réhabilitation d’objets cassés, usés, dépassés, démodés, délaissés par leurs propriétaires et récupérés à droite, à gauche.

Puis elle me raconta son histoire ou plutôt sa renaissance.Elle appartenait à une vielle dame qui habitait une petite maison à la campagne. Elle n’était plus en très bon état mais elle rendait encore service. Puis la vielle femme disparut, laissant place au vide et au froid. Quand on rouvrit la maison, c’était pour récupérer ce qui pouvait l’être et jeter le reste. La vielle armoire était inquiète, car le fils de la vielle dame projetait de se servir de son bois, pour se chauffer pendant l’hiver. Seulement, sa femme en avait décidé autrement. Elle l’avait soignée, débarrassée de ces sales bestioles, qui la grignotaient lentement de l’intérieur. Elle avait dit adieu à sa vielle peau. Depuis, toute de blanc vêtue et décorée de jolies fleurs, elle avait un air champêtre qui lui donnait du charme. Elle tenait la place d’honneur dans l’atelier de sa bienfaitrice.

 

Cette jolie histoire me redonna espoir. J’attendais à mon tour,  de passer entre les mains de la fée de l’atelier, afin de commencer une nouvelle vie.

Quand elle me sortit enfin de l’armoire, elle fit une inspection complète de mon armature de métal. Ses mains glissaient le long de ma structure, à la recherche de la moindre cassure. Sans doute fut-elle satisfaite du résultat, car elle commença son ouvrage. Elle me manipulait d’une main patiente et ferme.

L’heure était venue de m’habiller de nouveau. Je fus surpris de ne pas retrouver la toile noire à laquelle j’étais si habitué. Elle avait choisi un habit blanc, coupé dans un tissu doux et  raffiné. J’étais sur le point de protester : cet apparat, certes très chic, était vraiment peu pratique pour affronter la pluie ! Pourtant j’attendis la suite des événements. Des perles de nacre et de la fine dentelle vinrent compléter ma tenue.

Lorsque de jolis rubans de soie blanche furent accrochés à ma poignée, je reconnus immédiatement, mon amie la chemise.

Le déclic se fit alors en moi et je compris…

De chemise, elle était devenue rubans…De parapluie j’étais devenu ombrelle…

Quelle transformation ! Ce mélange des genres ne nous troubla pas pour autant.

Dorénavant, nous étions indissociables, unis pour la vie. Nous étions si heureux des nouvelles perspectives qui s’offraient à nous! Je me voyais déjà, tête au soleil et rubans au vent… On ne pouvait imaginer ombrelle plus coquette et plus exaltée.

J’avais si fière allure, que ma propriétaire, chère fée des objets, me confia un rôle très important lors du mariage de sa fille. J’étais proclamée ombrelle officielle de la mariée !

 

C’est en cette occasion, que ma nouvelle existence pris pleinement son sens, quand je sentis les mains délicates de la mariée se poser sur moi, en une tendre pression…plus précisément, quand je reconnus le parfum familier, de ma très chère Eloïse…

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