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Elle se penche à nouveau sur moi. Ombre immense, étrange.
Que disent aujourd'hui les lignes courbes de ses sourcils ? Ces arcs
mouvants et sombres auxquels je me raccroche pour communiquer avec ma
brune et mystérieuse compagne...
 
Parfois, je les vois, calmes et tranquilles. Limpides croissants de lune
au-dessus des lacs jumeaux de ses yeux... C'est alors qu'entre nous
s'amorce un léger contact. Imperceptible mouvement sur la surface glacée
de mes grandes pages vierges. Doux et subtil frottement régulier d'un
banal crayon de bois qui semble la contenter si profondément. La combler.
 
Plus souvent, ce sont deux gros traits noirs qui occultent la clarté de
son regard, et se tordent au point de se rejoindre comiquement vers le
haut du nez. Là, je la sais contrariée. Inquiète même. Immobilité,
silence, béance aveugle de ces deux points sombres, insondables, un peu
plus et je finirais comme elle - moi qui n'ai pourtant que peu d'état
d'âme - par me sentir mal à l'aise. Nu, trop lisse. Vide, inutile.
 
Mais j'ai l'habitude. Attendre, flotter dans une sensation de néant, de
non-être, cela ne me dérange pas. Pour elle, c'est un sentiment
difficile à accepter et à supporter. Ah, si seulement je pouvais lui
insuffler un peu de ma patience, de ma sagesse, de mon détachement !
 
Je sais fort bien, hélas, qu'après m'avoir rempli jusqu'à la lie de ses
laborieux graffitis, elle s'empressera de me ranger consciencieusement,
comme une relique, auprès de mes nombreux prédécesseurs qu'elle
collectionne dans ce vieux coffre de famille. Elle nous voudrait
éternels, quelle dérision...
 
Ne dit-on pas pourtant : " Poussière, tu es poussière et tu retourneras
à la poussière..." ? Cette phrase tant et tant de fois recopiée, à
laquelle elle n'a visiblement rien compris... Moi, si. Et depuis
longtemps. Je n'attends rien des jours. Je n'ai ni avenir, ni passé.
C'est pour cela que je me contente de l'instant présent.
 
De mes origines, que me reste-t-il ? La vague réminiscence d'une forêt
ancienne quand je contemple le halo flou et profond qui se balance
au-dessus de sa tête ?
 
Le souvenir - le songe plutôt - d'une brise légère et fugitive qui me
transperce, quand elle fait claquer fiévreusement la page enfin terminée
dans un froissement volatile et cassant qui m'interpelle de façon si
singulière ?
 
Sérénité, renoncement, je ne suis que vacuité. Paix éternelle qu'elle
perçoit - la pauvre - comme sa pire ennemie. Son angoisse existentielle,
à travers la blancheur immaculée de mes feuilles...
Tag(s) : #Textes des auteurs
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