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6h00 – Le réveil sonne. D’un bond, elle se lève. De toute façon, elle n’a pas dormi de la nuit. La pression… ça ne se gère pas aussi facilement que ça, surtout lorsqu’on se l’impose et qu’on veut se sentir indispensable.

 

6h30 – Après une douche rapide, elle se rend à la boulangerie, pour que son mari, qui se lève bien plus tard, puisse trouver des croissants chauds sur la table… douce attention. Elle aime plaire et rendre service, et elle aime qu’on le lui dise. Surtout ne pas oublier de lui dire.

 

6h45 – De retour à la maison, elle attrape le fer à repasser, et se met à la tâche tout en mangeant une biscotte sur le pouce, et en trempant de temps en temps ses lèvres dans le café qu’elle n’aura de toute façon pas le temps de finir.

 

7H00 – Elle jette un coup d’œil rapide dans l’appartement, règle une facture qui traîne sur le meuble de l’entrée depuis quelques jours, passe le balai dans la cuisine, et souffle dix minutes sur l’ordinateur en faisant un solitaire.

 

7h30 – Il est temps de partir au bureau. Dans sa voiture, elle est déjà gonflée à bloc, dans son uniforme de superwoman, même si les poches sous les yeux trahissent sa énième nuit blanche. Le solitaire, ça use, même la nuit.

 

8h00 – Elle franchit enfin le portail d’entrée, fière comme un paon, et ne remarque même pas que son tain est fade, que des traces humides sous ses aisselles laissent transpirer une activité matinale déjà bien débordante.

 

8h05 – Première au bureau, elle jette un œil sur les fax, les mails, le courrier avant que tout le monde n’arrive. Etre la première au courant, c’est son truc. Surtout lorsqu’il ne s’agit pas de ses dossiers à elle.

 

8h15 – Ses collègues arrivent. « Ca va ? » Ouais, super forme, et toi ? Arhhh, la question à ne pas lui poser…  C’est alors qu’elle prend son air pitoyable de superwoman épuisée : « J’te dis pas la nuit que j’ai passée… à 2 heures du mat’, j’étais déjà sur l’ordi pour faire un solitaire… rien à faire, je n’arrivais pas à dormir… en plus, j’te dis pas (et là, elle passe sur le registre « prendre toute la misère du monde sur mes épaules »), j’ai eu un coup de fil de ma belle-sœur dont le fils de la tante de sa meilleure copine, tu sais, celui qui avait fait une tentative de suicide l’année dernière – ah, je ne t’en avais pas parlé ? - , enfin bref, toujours est-il qu’elle m’a appris que maintenant il est atteint d’un cancer du poumon – tu vois, la cigarette, Anne, je te l’ai dit cent fois, c’est mauvais, je t’aurais prévenu, il ne faudra pas venir pleurer ensuite -, et qu’il ne lui reste que quelques semaines à vivre… J’en suis malade… Tout ça pour des clopes…Tu te rends compte ? »

 

9h00 – La tragédie passée, tout le monde commence son travail, elle passe un coup de fil à son mari pour vérifier qu’il est bien levé et qu’il a bien découvert les croissants chauds sur la table.

 

9h30 – Gros stress. Ma collègue se trompe d’une virgule sur son compte-rendu (ça fait 5 jours qu’elle a commencé son nouveau travail), et patatras, gros coup de gueule, clair, net, concis mais… dévastateur pour la nouvelle… Et pourtant ce n’est pas sa Chef…. Mais elle aime bien se mêler de tout et de faire croire que….

 

10h00 – Le chef arrive. Un grand sourire l’attend avec un « il faut que je vous vois, un dossier épineux à régler, ça ne peut pas attendre ». Réponse du Chef : « Je suis à vous dans 5 mn, mais laissez moi poser ma veste… vous serez gentille.. »

 

De 10h01 à 12h00, elle passe son temps à courir d’un dossier à l’autre, à s’enfermer avec le Chef pour des affaires ultra urgentes, à donner son avis à qui ne veut pas l’entendre, en faisant toutes les demi-heures une pause « je prends toute la misère du monde sur mes épaules et vas-y que je te raconte des histoires de gens qu’elle ne connaît même pas et à qui il est arrivé des trucs abracadabrants », à pianoter sur son micro comme si elle jouait de la batterie, à hurler au téléphone car elle ne sait pas parler doucement, le tout en ne se rendant toujours pas compte que les traces sous ses aisselles sont les conséquences de son hystérie maladive quotidienne…

 

12h15, une fois que tout le monde est parti déjeuner, elle part à son tour en faisant une pause dans le bureau du Chef pour montrer qu’elle est encore là à faire des heures sup.

 

12h45, elle arrive chez elle, son mari est déjà en train de déguster le petit plat qu’elle lui a préparé la veille au soir avec tant de dévotion tandis qu’elle avale rapidement un reste de pizza qu’elle a trouvé au fond du réfrigérateur, et lui parle, la bouche pleine, de tout le stress qui règne au boulot. D’une autre main, elle range le linge qu’elle a préalablement repassé le matin même, fait une pause zen avec une tablette de chocolat entière, et repart à 13h15, pour arriver au bureau à 13h35 avec cette règle d’or d’arriver toujours avant les autres… 25 minutes avant, c’est une bonne avance… d’autant que le Chef reste entre midi et deux, et se rendra certainement compte de toutes les heures supplémentaires que l’entreprise devrait être reconnaissante de lui payer…

 

14h00, les autres arrivent, et rebelote, nous avons droit à un épanchement malsain sur l’accident qu’elle en vu en venant….  « vous pensez bien, tout ce sang sur la route et ce mec qui gisait là comme si il était déjà mort – c’est horrible, j’en suis toute perturbée…, et encore ce n’est rien par rapport au frère du grand-père de mon mari le jour où il a eu son accident de…. » Etc, etc… Et là, tout le monde, tête baissée, n’écoutant plus que d’une oreille ce récit monstrueux, essaie de reprendre le boulot.

 

De 14h15 à 18h, elle court toujours entre dix dossiers, ne levant le pied que pour nous faire remarquer nos erreurs, ou pour nous faire remarquer qu’un tel a grossi, « c’est sans doute dû à ses soucis avec son fils, tu sais…. ». Oui on sait et on n’en peut plus !!! Stop ! Et là, dans un concert absolument hystérique, tout le bureau s’agite dans tous les sens, une vraie basse-cour de poules en folie, et le coq, notre chef, tente une entrée mais ressort immédiatement, sentant qu’il serait plus au calme dans son bureau… Heu… je pourrais venir aussi ? Me dis-je intérieurement..

 

18h30, elle est toujours là alors que tout le monde est parti depuis une bonne demi-heure, car elle, elle a besoin d’y voir plus clair dans sa journée, de faire le point et surtout de bien mettre en désordre son bureau avant de partir, le submergeant d’une tonne de paperasse en vrac… ce bureau-là comme ça est plus digne d’un bourreau du travail, et la femme de ménage – pense-t-elle, sera certainement impressionnée par rapport aux autres postes de travail où tout est en ordre…

 

18h35, elle repasse le portail, en sens inverse, manque d’avoir un accident en refusant une priorité (de quoi faire bon récit digne de ce nom aux filles demain matin – pense-t-elle), rejoint son mari affalé sur le canapé, prépare son repas à lui (elle, elle se contentera d’une autre plaquette de chocolat – c’est excellent pour le moral) – va se coucher à 21h tandis que son mari regardera un bon polar à la télé, et épuisée, se réveillera tout de même à 2 heures du matin et tâchera de se destresser avec un bon solitaire, et nous reviendra la mine déconfite au bureau le lendemain en nous expliquant qu’elle en a assez du stress de cette boite qui finalement ne lui rend pas la monnaie de sa pièce avec toutes les heures supplémentaires qu’elle fait - en prenant soin de bien préciser qu’elle est la seule à en faire –et qu’elle en a assez d’être prise pour une imbécile, avec tout l’investissement qui est le sien, au détriment de sa vie privée, etc….

 

Les jours se suivront et se ressembleront, et avec le temps, nous finirons par en rire entre nous parce qu’avec ces personnes-là, il n’y a jamais de solution… C’est épuisant ! Et comme dirait une personne que je connais bien « les cimetières sont remplis de gens indispensables »…

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