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Je regarde à travers les arabesques de cuivre de la jalousie. Devant moi, je vois une grande pièce somptueuse décorée de tableaux, draperies, meubles en bois précieux. Une fontaine chante doucement et envoie par moment des reflets irisés. Mon univers est rond, tout doux.

Il s'adapte au jour et au climat. Je passe l'hiver sous un ciel de neige entouré de splendides fourrures et l'été sous un ciel bleu mollement allongé sur des serviettes moussues. Je dors dans la soie blonde ou rouge. Mon petit lieu de vie devient piscine, bain au lait parfumé, lit moelleux ou bergère entourée de paniers de fruits déguisés, de cédrats confits , de dattes et de nectars de fruits. Je suis vêtu de soie et de brocart. Je choisis sarouel, chemise, cape, chéchia, babouches neuves chaque jour. Il y a bientôt mille ans que je vis ici dans la douceur et la beauté.

Je suis le génie de la lampe. Ma maison est très belle, en cuivre, avec des petites vitres en mica coloré et, bien sûr, des pierres précieuses enchâssées dans le col et le ventre. Un maharadjah l'a offerte à un grand roi, il y a des centaines d'années. Depuis, je vis en elle, posé sur la console d'or et de marbre d'un grand et magnifique Palais situé, ai-je entendu dire, dans la plus belle ville du monde.

La porte de la grande pièce a claqué et je sursaute! Qui ose ainsi déranger mon univers feutré? Un homme...

Je l'ai déjà vu. Il est vif, avec un physique de jeune renardeau, simplement vêtu d'un costume bleu dont la soie jette des ombres profondes. Il me plaît. Il s'avance vers moi. M'entends-t-il quand je lui souffle :"Viens! Viens! Caresse le flanc de la lampe et tu libèreras pour la première fois le Génie. Tu seras mon Maître et je te serai dévoué à la vie à la mort. Je peux tout te donner. Tu n'as qu'à tout demander. Je suis à toi mon Maître"

Je me tais, la gorge nouée. Ses mains se posent sur mon logis en le frôlant, le cuivre et l'or font entendre un chant mélodieux qui lui arrache un sourire étonné.

Alors la lampe s'ouvre et je m'élance, dans un nuage d'encens et de poussière d'étoiles. La soie de mes vêtements bruisse et je retombe avec grâce, drapé dans ma cape, aux pieds de celui qui m'a délivré.

Une magnifique première sortie, digne de mon pouvoir et de ma beauté :

"Parle mon Maître! demande l'or! la fortune! la gloire! les richesses!

Je suis ton serviteur!"

Il me fait un beau sourire, un peu carnassier peut-être. Il a un éclair jaune dans les yeux :

- "Génie, je veux le Pouvoir.

- Tu l'auras. Je te donnerai la force, la détermination. Je dresserai entre eux tes adversaires pour te laisser le passage, et tu auras le Pouvoir.

Il a eu le Pouvoir. Il a suffit, avec mon aide, de semer la discorde parmi ses opposants. Puis il s'est agit simplement d'obtenir l'accord de la majorité du peuple.

Quelques temps après, mon Maître est apparu à nouveau, Ses yeux se ferment à demi. Il me met au défi semble-t-il :

- "Génie, je veux ce Palais.

- Tu l'auras. Je t'ouvre toutes les routes, je foulerai aux pieds tous tes ennemis et ce Palais sera à toi."

Il est venu habiter le Palais. Il suffisait d'aménager un somptueux appartement afin qu'il se sente bien. Je vins naturellement vivre avec mon Maître, et, je n'en aurais pas toléré moins, le luxe était poussé à son comble. Jamais je n'avais vu de plus lourdes draperies, de meubles plus sculptés, d'ors, de statues, de tableaux. Jamais les parfums ne m' avaient semblés plus enivrants et la musique plus suave.

Entre les dentelles de cuivre, il me surveille puis il m'appelle à nouveau. Il semble insatiable. Son regard me jette des éclairs bleus :

- "Génie, je veux la plus belle de toutes les femmes.

- Tu l'auras. Je ferais partir celle que tu n'aimes plus. Je te donnerais des diamants pleins de lumière, toutes les broderies d'or, les bijoux les plus somptueux,  tous les palais de l'Orient pour la séduire, et tu l'auras.

Il a tout eu, il a tout pris. Elle est là et c'est la plus belle. Elle est riche, habillée de dentelles et de soie. Son rire clair et sa voix chantent dans les couloirs du Palais et un parfum de volupté lui sert de sillage.

Je croyais pouvoir me reposer de cet immense labeur quand un jour, sans hésiter, il a demandé :

- "Génie, je veux être Dieu!"

J'étais horrifié. Mais il y a des puissances supérieures et...

-" Non! non! mon Maitre, pas ça! ce n'est pas possible. Parce que Dieu m'est supérieur. Et il m'a confié qu'il a suffisamment de problèmes avec un homme à qui il a donné ce pouvoir-là. Vous le connaissez peût-être. Il s'appelle François M.

Nicolas S. a cruellement refermé la lampe et a ordonné qu'on soude le couvercle.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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