Une pluie dense se déversa alors sur la forêt, et chaque goutte qui tombait était une goutte de bonheur sur le corps du peuple Urubayus.
Cela dura environ vingt minutes pendant lesquelles chacun des visages commença à se décrisper, puis à se réjouir, les yeux au ciel, face à ce déluge de bonne nouvelle.
Uriel se détourna vers Euxane. Elle était belle lorsqu’elle souriait. Le visage dur qu’il lui avait découvert à leur première rencontre se transforma peu à peu en douceur exquise. La pluie les avait lavés de toute mauvaise pensée, et de tous leurs soucis.
- Tu voulais me dire quelque chose, je crois, avant la cérémonie, lança alors Uriel à la jeune-femme.
- Cela na plus d’importance maintenant..., rougit Euxane. La pluie nous a tous lavés de notre passé. C’est un peu comme une nouvelle naissance. Un nouveau jour sur l’Ile du Levant.
Lorsque la pluie s’arrêta enfin, tous se mirent à genoux devant Istamy. C’était un bon chef. Un brave. Puis ils sortirent de la forêt, retournèrent à leurs huttes, fraternisèrent à nouveau avec la tribu des Yakos, et ainsi reprit la vie de l’Ile du Levant...
Uriel et Euxane ne se quittèrent plus. Leur amitié se transforma en des sentiments plus profonds. Deux jeunes enfants en sursis apprenant à se découvrir. Leur passé envolé, seul l’instant présent ne comptait pour eux. Et un jour, alors qu’ils préparaient ensemble le repas pour la tribu, Uriel se mit à lui réciter quelques vers :
« Au pays parfumé que le soleil caresse,
J'ai connu, sous un dais d'arbres tout empourprés
Et de palmiers d'où pleut sur les yeux la paresse,
Une dame créole aux charmes ignorés. »
- Baudelaire(*)... mon poète préféré ! répondit Euxane en continuant :
« Son teint est pâle et chaud ; la brune enchanteresse
A dans le cou des airs noblement maniérés ;
Grande et svelte en marchant comme une chasseresse,
Son sourire est tranquille et ses yeux assurés. ».
- Je sais que c’est ton poète préféré, continua Uriel. Et de rajouter : » Ca me réchaufferait le cœur de penser que quelqu’un quelque part est à ma recherche... C’est à cette idée désormais que je vais m’attacher dans mon nouvel exil, et jusqu’à ma mort, je ne cesserai d’y croire. »
Euxane resta sans voix. Son message avait été entendu dans « l’autre monde ». Quelqu’un avait fait le tour du monde pour la retrouver... Il la prit dans ses bras et l’étreignit longuement, leurs deux visages apaisés.
(*) Extrait d’une Dame créole, de Charles Baudelaire