Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Bonjour, Voici le texte du mois pour la proposition 265 (aequo avec Philippe). La présentation de l’auteur est en attente.

Proposition 265 – Le temps de l’espoir

La neige tombait en grosses grappes et recouvrait les arbres d’un duvet immaculé. Simone, quatre-vingt-quatre ans, observait le ballet des flocons portés par le vent tout en caressant Loulou, son spitz nain couché près d’elle sur le canapé. Une fraîcheur soudaine se posa sur ses épaules. Elle se leva et remis des buches sur les braises qui achevaient de se consumer dans l’âtre. Les rondins s’enflammèrent et la vieille dame observa la flambée quelques instants, fixant l’image dans son esprit. 

La camionnette du facteur s’engouffra en klaxonnant sur le chemin qui menait à la maison. Simone détestait sa façon de débarquer en trombe, de lui coller son courrier dans les mains et de repartir tout aussi vite. Mais parfois il prenait le temps de s’arrêter et acceptait volontiers une tasse de café. Elle ne recevait pas beaucoup de visites alors elle lui passait ses lubies.

Bien le bonjour madame Simone, j’ai du courrier pour vous. A mon avis c’est important, fit le préposé en lui tendant une unique enveloppe.

Vous aurez bien le temps de prendre une boisson chaude pour vous réchauffer ?

Hélas non pas aujourd’hui madame Simone. Nous sommes à quelques jours du réveillon et je suis comme le Père Noël, j’ai plein de colis à distribuer Ho Ho Ho, répondit-il en riant. Bonne journée à vous.

Les pneus de la voiture crissèrent sur le gravier et une fine poussière mêlée de neige s’éleva dans les airs. La femme décacheta l’enveloppe et en sortit une lettre à entête de La Poste expliquant avoir retrouvé une carte postale oubliée dans un vieux sac stocké dans une succursale en rénovation. Simone découvrit le carton jauni sur lequel était imprimé un paysage rendu méconnaissable par le temps. Au verso, il lui sembla reconnaître l’écriture fine et régulière de l’auteur. 

Elle frissonna. 

Était-ce par qu’elle se trouvait dehors sur le perron et sans manteau ou bien en raison des souvenirs qui se bousculèrent tout à coup dans son esprit ? Elle rentra récupérer ses lunettes et tenta de déchiffrer le texte qui s’était estompé avec le temps.

« Simone, ma Simone, je ne sais si cette carte te trouvera. Je suis revenu dans la région après des années à l’étranger. S’il te plait, j’ai besoin de savoir ce que tu deviens, as-tu trouvé le bonheur que nous recherchions ? Ecris-moi à l’adresse ci-dessous. Je n'ai rien oublié de nous. Albert. »

Simone chancela.

Son passé revint aussi vite que la fourgonnette du facteur sur son allée de gravier. Albert, son amour de jeunesse. Albert, qu’elle n’avait pas revu depuis ses dix-sept-ans, depuis qu’il avait été chassé de la propriété. Pour se protéger et ne plus souffrir, elle avait décidé qu’elle vivrait sans lui ce bonheur qu’ils avaient tant désiré ensemble, qu’elle le trouverait ailleurs et à n’importe quel prix. Elle avait alors accepté ce que l’on attendait d’elle, se marier à un homme de son milieu et fonder une famille, et non s’acoquiner avec le fils du régisseur. C’était ce que la société lui imposait, l’amour était sans intérêt. 

Elle extirpa d’un de ses tiroirs une vieille boite en fer. Celle-ci contenait des clichés aux couleurs délavées et parmi eux, une photographie représentant un nouveau-né. Chantal. Voilà près de soixante-sept-ans qu’elle n’avait pas prononcé son nom à haute voix. Quand elle l’entendit franchir la frontière de ses lèvres elle éclata en sanglots. Elle s’était persuadée, au fil des années, que l’abandon avait été la meilleure et seule chose à faire. Parce que la pression familiale avait été la plus forte, elle avait renoncé à son trésor le plus précieux. Cet objet du péché qu’elle n’avait même pas pu tenir dans ses bras et qui lui avait été retiré juste après la naissance, qu’était-il devenu ? 

Sous le coup d’une impulsion soudaine elle récupéra une valise dans laquelle elle jeta quelques vêtements et un nécessaire de toilette, attrapa la laisse du chien et se dirigea vers le garage. Loulou aboya de bonheur et se colla aux jambes de sa maîtresse avant de sauter dans la vieille AX rouge, compagne de jeunesse que Simone n’utilisait plus qu’en de rares occasions. L’ancienne se fit un peu prier pour démarrer, toussa quelques peu mais ronronna encore bien pour son âge. Voilà des décennies que cette carte avait été écrite et Albert ne se trouvait peut-être plus à l’adresse qu’il avait indiqué. Était-il seulement encore de ce monde ?

Tag(s) : #Textes des auteurs
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :