Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Bonjour, Voici le texte du mois pour la proposition 264. Vous pouvez retrouver la présentation de l’auteur dans la rubrique auteur.

 

Lettre à Mme La Peur / Gisèle / Proposition 264

 

Chère emmerdeuse,

Tu m’en auras donné des maux de tête, des douleurs abdominales, des étourdissements, des paralysies et des troubles de toutes sortes. Le moins qu’on puisse dire c’est que tu es entêtée et tenace. Tu ne lâches pas aisément tes proies. L’impression, pour ne pas dire la certitude, que tu étais déjà présente à ma naissance m’habite car j’ai depuis toujours la certitude que tu étais déjà là, à m’observer, au moment précis où j’ai décidé d’affronter la vie. Enfant, tu te manifestais par la voix de ma mère et dans ses agissements. Selon ses dires, traverser la rue comportait un risque incommensurable de se faire écrabouiller. Les hauteurs devenaient une hantise, s’était s'assurer de finir au fond d’un trou, inanimé, infirme ou estropié pour toujours. Parler à une personne inconnue, c’était l’assurance de se faire kidnapper, agresser et même tuer. Bien sûr que toi, tu en as rigolé et profité pour t’accrocher à mes flans et ne plus me quitter. Après l’enfance, je t’ai détestée car tu m’empêchais de sortir de mon cocon et d’explorer la vie. Ta voix de diablesse se manifestait chaque fois que l’envie d’essayer une nouvelle expérience se présentait à moi.

Peur de l’eau, peur des hauteurs, peur des gens, peur des animaux, peur de décider, peur de parler, peur de l’avion, presque peur de respirer. Toutes ces peurs accouraient à chaque nouvelle initiative de ma part. Tu étais toujours là, collée à ma personne. Un jour, j’en ai eu marre de ta présence constante, de l’oppression que tu exerçais sur moi, de l’emprisonnement dans lequel tu me gardais.

Alors, en douceur, mais vraiment tout en douceur, je me suis permis quelques petites incartades qui m’ont alors donné la preuve que je pouvais t’écraser sous mes pieds pour vivre d’autres émotions que celle de la peur. J’y ai mis le temps et fait beaucoup d’efforts, et j’avoue ne pas y être toujours arrivée. Par contre, mon champ d’exploration s’est peu à peu agrandi, j’ai fait fi de la peur maternelle, je m’en suis affranchie. Puis, les petits miracles se sont produits et chaque victoire me rendait un peu plus forte. Ciel ! que tu m’as donné du fil à retordre. Dans nos affrontements, pendant longtemps, tu dominais et freinais mes élans. Mais, aujourd’hui avec fierté, je clame mes victoires si petites soient-elles.

Comme tu le sais, tu ne m’as jamais quitté complètement et je me suis résolue à faire le deuil de certaines envies éprouvées au fil du temps mais au quotidien tu n’es plus à mes côtés à m’enquiquiner pour un rien.  Je te confirme que je ne sauterai jamais en parachute, que je ne nagerai jamais au beau milieu de l’océan où que je ne marcherai jamais sur le bord des corniches des plus hautes montagnes. Mais tu sais quoi ? Mon bonheur ne se situe plus dans ces sensations fortes. Je suis âgée et la tranquillité est maintenant mon quotidien. Depuis quelques années, tu dois bien t’ennuyer à mes côtés. Tu es sans doute surprise que je n’aie même plus peur de la mort, que j’ai apprivoisée et qui a la gentillesse de m’attendre.

Pourquoi ai-je eu envie de t’écrire ? Pourquoi à ce moment précis de ma vie, ai-je eu envie de te rabrouer ? Pour te donner le change ? Pour te faire savoir que ton pouvoir vis-à-vis de moi a diminué ? Je ne sais pas vraiment ! Mais ce que je sais c’est que je ne peux t’éliminer complètement car certains événements peuvent encore surgir et me faire éprouver la peur, personne n’y est à l’abri. Tant qu’il y a de la vie, il y a place pour que tu t’imposes et c’est parfois nécessaire pour provoquer une réaction de défense, je le comprends bien.

Tu as beau m’emmerder mais puisque nous devons cohabiter, je préfère te demander d’être douce avec moi, mon cœur n’est plus aussi solide qu’avant et mourir de peur ne m’intéresse pas.

Tag(s) : #Textes des auteurs
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :