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Bonjour,

Voici le texte du mois pour la proposition 260 qui a fini exæquo avec celui de Paul Eric et de Bernadette.

Vous pouvez retrouver la présentation de l’auteur dans la rubrique auteur

Clémence – Eros sur un air de jazz

La première fois qu’Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement laide.

Elle déboula dans sa vie avec grand fracas, pour ne plus jamais en partir.

Tout commence quelque part sur une île grecque. Paisiblement installé sur un transat au bord de la plage, Aurélien est en train d’écouter les Gnossiennes de Satie tout en contemplant la mer face à lui. Le bleu limpide, le soleil qui descend doucement au loin sur la montagne de l’île d’en face, la chaleur sur son corps et l’odeur de sel sur ses lèvres. Quelles vacances bien méritées !

Jusqu’au moment où déboule une petite boule de poils, un bichon qui saute sur son transat et qui a l’air d’humeur joueuse.

Quel cauchemar pour Aurélien qui ne supporte pas les animaux, les trouve sale, en particulier ce petit chiot couvert de sable et trempé par l’eau.

“Eroooos ! Eros ! Viens ici !!”

C’est d’abord la voix qu’il a entendue. Et qu’il a détesté. Une voix qui porte, assez rauque, pas du tout féminine. Puis, il l’a vue.

Je suis désolée, je lui ai enlevé sa laisse pour qu’il profite un peu, mais il a envie de jouer avec tout le monde et peut être intrusif”

Aurélien, par peur de lancer une remarque désagréable, préfère ne pas répondre et se contente de la détailler.

Une grande brune aux cheveux bouclés complètement désordonnés, de grands yeux verts ronds qui lui donnent une expression ahurie, voire un peu bête. Bérénice est pulpeuse, elle a du gras au niveau du ventre et des cuisses, et comble de l’horreur, de la cellulite.

C’est qu’Aurélien est obsédé par la perfection. Il s’est toujours fait une idée très précise des femmes. Biberonné au patriarcat et à la représentation de la femme à travers la publicité ou la télévision, une femme se doit pour lui d’être toujours coquette, soignée, élégante, discrète, sans imperfections ni poils, et bien habillée. Il aime les femmes toujours maquillées, le cheveu raide, et les ongles peints en rouge ou nude.

Aurélien est comme qui dirait, toujours tiré à quatre épingles. Un contrôle obsessionnel de son image l’anime. De taille moyenne, il est brun avec une barbe soigneusement taillée au millimètre près. Un corps finement musclé par de l’escalade et du yoga. Très strict quant à son hygiène de vie, ses journées sont réglées comme du papier à musique. Il ne supporte pas grand-chose. Il n’est pas très sociable et n’aime pratiquement que sa propre compagnie, à part quelques collègues de travail.

Bérénice, elle, se fout de tout, et surtout de son apparence. Sa chevelure ne connaît le peigne que les jours de shampooing, elle ne sort le vernis que pour Noël et assume sans complexe ses vergetures et sa cellulite.

Non mais vraiment se dit Aurélien, quelle négligence. Avec tous les soins et traitements qui existent sur le marché de la cosmétique de nos jours, quelle idée de se laisser aller de la sorte ! Et elle est tatouée en plus de ça, mais quelle horreur ! Et cette voix épouvantable de fumeuse, mais faites qu’elle disparaisse de ma vue et vite, elle et son chien qui me fout du sable partout !

D’un geste rapide, sans cesser de sourire, Bérénice récupère son chien en s’excusant et retourne s’asseoir à sa place. Aurélien repart dans son monde intérieur et se laisse aller à une petite sieste.

Le soleil décline de plus en plus, l’air se rafraîchit en ce mois de septembre et les gens commencent à quitter un à un la plage. Et voilà qu’Aurélien retrouve Bérénice, il la voit en train de faire le tour de la plage privée et de parler à tous les vacanciers encore avachis sur les transats.

Bon sang, c’est pas vrai qu’elle va revenir me casser la tête encore !

Elle se plante et le sourire aux lèvres, lui lance “Je fais un concert ce soir avec mon groupe au bar Nikiti. Vous êtes le bienvenu” .

Aurélien lui lance un “merci” poli, prend ses affaires et rentre à son hôtel. Évidemment, il se dit qu’il n’y mettra pas un pied, vu le look de cette fille, c’est le genre à jouer de la flûte de pan ou du djembé…

Et pourtant, un détail l’interpelle et le rend curieux. Le nom de son chien. Eros. Pas banal et signe d’une certaine culture qui ne le laisse pas indifférent, lui le spécialiste de la mythologie grecque. Et puis non, se dit-il en balayant d’un revers de main cette pensée qui lui traverse l’esprit, je ne vais pas aller à son concert quand même !

Après son footing quotidien, il s’octroie un bon dîner dans un petit restaurant : retsina, salade grecque et calamars frits, puis il décide de changer son itinéraire habituel et part faire une marche au bout du village. Il passe alors devant un bar animé, de la musique s’en échappe et d’un coup, une voix puissante s’élève. Une voix qui lui donne des frissons.

Intrigué, il laisse ses pas le guider dans le bar et… nom de Dieu ! C’est elle, Bérénice, au micro !

 Dans la lumière tamisée de ce petit lieu chaleureux, se tient, entre un contrebassiste, un pianiste et un batteur, une Bérénice magistrale, en robe rouge, ses boucles noires tombant en cascade tout autour de son visage et de ses grands yeux verts. Sensuelle et envoûtante, elle égrène des rythmes de jazz d’une voix chaude et caressante.

Elle improvise et est complètement habitée par la musique, ses yeux se ferment et son corps ondule et toute son énergie est diffusée dans le bar. Aurélien est subjugué, il en a la chair de poule.

Le morceau s’achève, elle pose ses yeux sur lui et un grand sourire illumine son visage. Elle pose son micro et fond sur lui.

“Je ne pensais pas te voir ici ! Je te tutoie ça te dérange pas ?

Euh…non”

Elle le désarçonne, elle paraît tellement à l’aise en toute circonstances. Et c’est autour d’un verre que la glace se brise. Une nuit à parler, les paroles se déversent en flots.

Il est professeur de lettres classiques et grec ancien à la Sorbonne. Elle aussi habite à Paris, elle termine une seconde thèse d’histoire contemporaine. Elle a fait le conservatoire de chant et se produit souvent dans des cafés.

Ils aiment le théâtre, la poterie, la gastronomie colombienne et détestent tous deux faire du vélo.

Ils décident d’échanger leurs numéros et se promettent de se revoir à Paris.

Ce soir-là, Aurélien rentre chez lui un peu sonné. Lui, l’antisocial, le superficiel qui n’aime jamais sortir du cadre strict qu’il s’est imposé ; le voilà qu’il a passé la soirée dans un bar à écouter du jazz, parlé à une femme et qu’il a prévu de la revoir à Paris ! 

De retour à en France, Aurélien reprend le cours de sa vie et l’oublie. Il n’ose pas la recontacter. Cette fille l’impressionne il faut dire, et pourtant il a envie de la revoir, de ressentir le bien-être qu’il a quand il est à ses côtés, de discuter des heures de sujets passionnants qu’ils ont en commun...

Puis un beau jour, en sortant de la Sorbonne, un message s’affiche sur son téléphone “Salut Aurel ! C’est Bérénice de Grèce, tu te souviens de moi ? Ma sœur m’a plantée. J’ai une place en trop pour “On ne badine pas avec l’amour” ce soir à 19h. Tu veux venir ? “

C’est sa pièce préférée, comment pourrait-il refuser.

C’est ainsi que cette soirée va sceller le début d’une amitié qui va durer toute leur vie. Il n’y aura jamais rien de plus entre eux. Aurélien aime les hommes. C’est mieux ainsi, rigolent-ils. En couple, ce serait la guerre, lui le rigide, elle la bohème.

Ni l’un ni l’autre ne se mariera ou n’aura d’enfants, c’est ensemble, main dans la main qu’ils navigueront sur les courants de la vie.

Tag(s) : #Textes des auteurs
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