Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Bonjour,

Voici le texte du mois pour la proposition 259 qui a fini exæquo avec celui de Josée et de Lostris.

Vous pouvez retrouver la présentation de l’auteur dans la rubrique auteur

Gisèle – Au jardin des oubliés

Son appel à l’aide se perd dans le brouhaha des bruits qui l’entourent. Elle se sent prisonnière de cet endroit macabre où ses enfants l’ont abandonnée sous prétexte qu’elle ne pouvait plus demeurer seule. Eux, ils ont leur vie à réaliser, les enfants, le boulot, les amis, les activités, les vacances et puis quoi d’autre. Dans les faits, elle est malheureuse de se retrouver entre les quatre murs de cette chambre dans laquelle ils ont entassé une partie de ses souvenirs, souvenirs de toute une vie. Cette pièce est si encombrée qu’elle étouffe. Elle ne parle plus, elle qui a tant aimé converser. Ce fichu accident vasculaire cérébral a paralysé tout le côté gauche de son corps, impossible pour elle de se mouvoir par elle-même. Lorsque les préposés ont le temps, moments qui ne se présentent pas souvent, ils l’assoient dans un fauteuil roulant et la pousse jusqu’à la salle commune où les odeurs de tout à chacun s’entremêlent en des effluves difficiles à supporter, elle qui s’est parfumée toute sa vie avec de fragrances délicates, éprouve maintenant des nausées chaque fois qu’elle arrive en ce lieu déprimant. Elle est bien consciente qu’elle n’est guère mieux qu’eux, incontinente depuis son attaque. Dans cette salle, on marmonne, on parle, on parle haut et fort, on rit, on pleure, on se lamente, on invective les autres, on crie sa souffrance, son ennui, son découragement. Elle déteste cet endroit, reflet de sa propre condition.

Son appel à l’aide, bien que muet, suinte de tout son être. La vie, SA vie n’a plus aucun sens. Elle réside dans ce centre qu’elle nomme dans sa tête, le Jardin des Oubliés et comme une bouteille à la mer, son message vogue dans les flots de son cerveau blessé. Incapable de partager avec qui que ce soit ses états d’âme, son désespoir, ses souffrances physiques et morales, il lui semble qu’elle n’existe plus, invisible aux regards des autres. Même lorsque ses enfants lui rendent visite, une ou deux fois par année, et pas davantage, ils ne décèlent pas son désarroi. Ils déblatèrent sur leur vécu, osent même lui dire qu’elle a bonne mine et qu’elle doit apprécier vivre dans ce milieu de vie où l’on prend soin d’elle. Autant elle a hâte de les voir, autant elle souhaite leur départ quelques minutes après leur arrivée. Elle voudrait crier : « Sortez-moi d’ici ». Impossible pour elle de se libérer de cette hantise, partir de ce mouroir. Elle rêve d’admirer pour une dernière fois un coucher de soleil, d’admirer des jardins fleuris, de sentir le vent contre sa peau et les rayons du soleil sur son visage, sentir les arômes de plats mijotés comme elle aimait tant en cuisiner, flatter le pelage soyeux de son chat. Ses plaisirs d’aller au théâtre, au cinéma, au concert, évanouis, disparus. Ses souvenirs s’effacent peu à peu, elle s’étiole, elle appelle la mort de venir la chercher, la délivrer, la soulager.

Mais son appel à l’aide ne fait que rebondir en écho sur les parois de son cerveau sans qu’elle ne puisse le murmurer, le dire, le crier.  Chaque soir, au moment où on couvre son corps chétif et qu’on éteint la lumière, elle ferme les yeux et souhaite ne plus jamais les ouvrir.

 

Tag(s) : #Textes des auteurs
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :