Bonjour,
Voici le texte du mois pour la proposition 258 (Jonavin) qui a fini aexequo avec celui de Josée.
Vous pouvez retrouver la présentation de l'auteur dans la rubrique auteur. (en attente)
Z comme Zacharie
Gaufrette, c’était l’Ami 6 cabossé de grand-père. Des banquettes à ressorts, une lunette arrière en Z. La Citroën zigzaguait d’un fossé à l’autre. C’est comme ça que nous l’imaginions, Zacharie et moi. D’un gris temps perdu, à hauteur de poussière. Comme un zèbre à qui on aurait tranché le cou. Z, comme le zip de nos K-Way, le campement des zingari ou le zinzin du moteur pétaradant à chaque virage.
Z, comme l’usure de nos culottes courtes. Souviens-toi. C’était l’enfance. Un zodiaque de notre vie où l’on mangeait du lion. Ce mois d’août, à Commercy, avait été une vraie fournaise. Mais nous avions déjà soif d’exister, de courir. Le soleil razziait l’ombre des fontaines couleur topaze. A son zénith, nous écourtions nos après-midis de pêche pour d’improbables baignades. Tu inventais le mariage des grenouilles, implorais un zeste de pluie. Je parlais à l’étang, conscient que la sécheresse tarissait les derniers puisards. Solennellement, nous pouvions observer les lucanes traverser l’air électrique. Comme des zeppelins fantômes entoilés d’étincelles et de crêpes zinzolins. Bien plus tard, dans le halo des réverbères, le crépuscule s’embrasait aux lampions d’une kermesse qui semblait naître d’un ciel en feu.
Z, c’étaient les fourmilières zigouillées au fond des bois. La bouse séchée et les pétards qu’on y allumait, espiègles. Nos quatre heures en madeleines, chapardées à la Cloche d’Argent. Z, c’étaient nos bicyclettes, quand chaque matin, nous repartions de zéro. Trempés de sueurs, ivres de joie. Toujours entre le zist et le zest, mais fiers d’être les dignes kamikazes d’une nouvelle aventure dans les tranchées de Bézimont. Après la sieste, grand-père canonnait « Allons z’enfants », son clairon d’or et de miel, passé par la vitre coulissante de la berline. Nous le regardions partir, au garde-à-vous, hilares. Et souvent, nous profitions de l’occasion pour fumer en cachette, son caporal ordinaire.
Quelquefois, Zastro nous apprenait les lignes de la main. En échange d’un zloty, il nous contait les roulottes verdies de lune sur les chemins de Cracovie. Les danseuses tziganes au bord de la Meuse. Cette vie rococo qui soudain, faisait de nous, de grands voyageurs ! Un radeau pour Zanzibar, des rêves tous azimuts que l’on gardait comme un trésor en mâchouillant notre Zan. La nuit, sous les draps, tu nous lisais à voix haute, des BD de Blek Le Roc. Aussitôt, je m’accaparais la toque de zibeline de mon héros trappeur. Tu n’es plus là et tu me manques, frérot. Comme Gaufrette, Zastro et les cerfs-volants drapés de zéphyrine. Comme la forêt et son manteau feuille-morte.
Nous pouvions aussi rester toute la journée à faire le zouave avec Suzanne, la fille du gendarme. Ah ! La zizanie entre nous pour qui la séduirait le premier ! Le soir, à la fraîche, nous allions tous les trois au Rex, suivre les aventures de Zigomar. Mais Suzanne, c’était surtout son zézaiement, ses rubans fraise. La complice idéale de nos jeux interdits. Nos vacances d’été.
Un zoom sur ces années passées, Zacharie, et c’est ma vie qui pleure. Lentement, je longe l’allée des tilleuls qui mène au grand cormier. Face à l’étang, je m’assois. Près de moi, Suzanne vient me prendre la main. Son regard est un ciel d’azur…